Un père décède, laissant sa fille, représentée par sa mère. La mère, divorcée du père, n'intervient dans le règlement de la succession qu'en qualité d'administrateur légal de sa fille ; elle n'a elle-même aucune vocation successorale. Néanmoins, le département de la Gironde identifie un risque de conflit d'intérêts entre la mère et la fille et demande au juge des tutelles la nomination d'un administrateur ad hoc chargé de représenter l'enfant dans les opérations de liquidation de la succession. La mère estime au contraire qu'il n'existe pas d'opposition d'intérêts puisque, n'ayant pas la qualité de conjoint survivant, elle n'est pas héritière.
Une association de protection de l'enfance est désignée en qualité d’administrateur ad hoc par la cour d'appel de Bordeaux. Si la mère n'est pas en opposition d'intérêts avec sa fille dans le règlement de la succession puisqu'elle ne peut prétendre à aucun droit dans cette dernière, elle a néanmoins :
- manifesté devant une assistante sociale son intention d'employer les sommes héritées par sa fille au règlement de dettes personnelles et à l'achat d'une voiture ;
- retardé le règlement de la succession en faisant appel du jugement de divorce, deux ans après son prononcé, alors que son ex-époux était remarié ;
- attendu trois ans après le décès pour transmettre l'acte de décès au juge des tutelles, en dépit des réclamations du magistrat, et laissé sans réponse l'initiative de l'association de protection de l'enfance pour l'associer aux démarches relatives à la liquidation de la succession.
La Cour de cassation confirme l'arrêt d'appel. Aux termes de l'article 383, alinéa 1 du Code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2015-1288 du 15 octobre 2015, lorsque les intérêts de l'administrateur légal unique ou, selon le cas, des deux administrateurs légaux sont en opposition avec ceux du mineur, ces derniers demandent la nomination d'un administrateur ad hoc par le juge des tutelles. À défaut de diligence des administrateurs légaux, le juge peut procéder à cette désignation à la demande du ministère public, du mineur lui-même ou d'office.
Ayant fait ressortir que, par son comportement, la mère a perturbé le règlement de la succession dans un intérêt contraire à celui de sa fille, la cour d'appel, qui en a souverainement déduit l'existence d'un conflit d'intérêts entre elles, a légalement justifié sa décision.
À noter :
1. L'opposition d'intérêts entre le ou les administrateurs et le mineur est une question de fait soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1e civ. 5-1-1999 no 96-19.759 D ; Cass. 1e civ. 25-3-2009 no 08-11.552 F-D : BPAT 3/19 inf. 107). En l'espèce, le comportement de la mère contraire aux intérêts de l'enfant suffisait à caractériser l'existence d'un conflit d'intérêts, peu important qu'elle n'ait pas de vocation successorale.
2. Pour anticiper les difficultés dans le règlement de sa succession, le père aurait pu conclure un mandat à effet posthume (C. civ. art. 812 s.). Rappelons toutefois qu'un tel mandat n'est valable que s'il est justifié par un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l'héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé (C. civ. art. 812-1-1, al. 1 ). Le père avait également la possibilité de donner ou de léguer des biens à sa fille mineure sous la condition qu'ils soient administrés par un tiers et échappent ainsi à l'administration légale de la mère, même après le partage de la succession (C. civ. art. 384). Il est même possible de combiner un mandat à effet posthume et une désignation de tiers administrateur, montage qui peut s'avérer judicieux dans certaines situations (J. Combret, Mandat à effet posthume : d'utiles précisions ou confirmations : Sol. Not. 10/15 inf. 193).
Julie LABASSE
Pour en savoir plus sur cette question, voir Mémento Droit de la famille n° 40180
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