Lorsque le bailleur délivre un congé avec refus de renouvellement, le locataire qui entend demander le paiement d'une indemnité d'éviction doit saisir le tribunal avant l'expiration du délai de deux années à compter de la date pour laquelle le congé a été donné pour ne pas encourir la prescription biennale de l'article L 145-60 du Code de commerce (C. com. art. L 145-9, al. 5). Le délai de prescription est interrompu par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit (C. civ. art. 2240), ainsi que par une demande en justice, même en référé, jusqu'à l'extinction de l'instance (C. civ. art. 2241 et 2242) ; il est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès (C. civ. art. 2239).
Après avoir offert le renouvellement du bail à son locataire, un bailleur exerce son droit d'option en décembre 2018 et refuse le renouvellement avec offre de payer une indemnité d'éviction. En février 2019, il saisit le juge des référés pour qu'il nomme un expert chargé de donner son avis sur le montant de l'indemnité d'éviction à laquelle pourrait prétendre le locataire. En janvier 2021, le locataire demande au tribunal le paiement de son indemnité d'éviction. Le bailleur soutient alors que la demande est prescrite car formée plus de deux ans après la date pour laquelle le congé a été donné. Le locataire conteste en soutenant que la prescription a été interrompue puis suspendue avec la mesure d'expertise ordonnée qui servait des buts communs aux parties et qui valait reconnaissance par le bailleur du droit à indemnité du locataire.
La cour d'appel de Paris écarte l'argumentation du locataire et juge au contraire que l'action en paiement de l'indemnité d'éviction était prescrite pour les raisons suivantes.
En premier lieu, lorsque le juge des référés accueille une demande d'expertise destinée à évaluer l'indemnité d'éviction, l'interruption de la prescription lors de l'instance, puis sa suspension, ne jouent qu'au profit de la partie qui a sollicité cette mesure, en l'espèce le bailleur. Le locataire ne s'est pas joint à la demande d'expertise mais a seulement émis des protestations et réserves. En outre, le fait que la mission confiée à l'expert vise à déterminer les droits du locataire n'est pas de nature à suspendre la prescription à son égard.
En second lieu, la saisine du juge des référés par le bailleur pour obtenir une expertise judiciaire portant sur l'évaluation de l'indemnité d'éviction qui pourrait être due et la participation à cette expertise ne caractérisent pas une reconnaissance par le bailleur, dépourvue d'équivoque, du droit du locataire à recevoir le paiement d'une indemnité d'éviction, compte tenu de l'utilisation de formulations au conditionnel ; il n'y avait donc pas eu interruption de la prescription.
A noter :
1° Le présent arrêt est l'occasion de rappeler que l'interruption puis la suspension de la prescription entraînées par le prononcé d'une mesure d'instruction ne profitent qu'à la partie qui a demandé cette mesure (Cass. 3e civ. 19-3-2020 n° 19-13.459 FS-PBRI : RJDA 7/20 n° 405). Pour bénéficier de l'interruption et de la suspension, il aurait donc fallu que le locataire, défendeur à l'action en référé, s'associe à la demande en formulant également des prétentions liées à l'évaluation de l'indemnité d'éviction. De simples protestations ou réserves ne suffisent pas.
2° S'agissant de la reconnaissance du droit du locataire à obtenir une indemnité d'éviction, il a déjà été jugé que le seul fait pour le bailleur de délivrer un congé avec offre de paiement d'une indemnité d'éviction en application de l'article L 145-9 du même Code ne vaut pas reconnaissance de ce droit à indemnité (Cass. 3e civ. 30-3-2017 n° 16-13.236 F-D : RJDA 8-9/17 n° 537) et n'interrompt donc pas le cours de la prescription. La reconnaissance n'est soumise à aucune forme mais elle doit être sans équivoque.
Documents et liens associés :
CA Paris 13-6-2024 n° 22/08263, ch. 5-3