Dans les deux affaires soumises à la chambre sociale de la Cour de cassation, des inspecteurs du travail estimant, à la suite de contrôles effectués dans plusieurs supermarchés de la société Casino, que la réglementation relative au travail dominical n’était pas respectée avaient saisi en référé la juridiction prud’homale de demandes afin que soit ordonnée la fermeture des établissements concernés. L’une avait pour fondement la violation d’un arrêté préfectoral de fermeture au public, l’autre l’emploi illicite de salariés le dimanche ; dans les deux cas, l’établissement avait recours à du personnel de surveillance d’une entreprise tierce de prestation de services.
La présence d’agents de sécurité ne remet pas en cause l’automaticité dans le fonctionnement des magasins...
Les établissements fonctionnant sans personnel ne sont pas concernés par l’arrêté préfectoral de fermeture
Aux termes de l’article L 3132-29, alinéa 1, du Code du travail, lorsqu’un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d’employeurs d’une profession et d’une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées.
Il avait été précisé au cours des débats parlementaires ayant précédé le vote de la loi 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs, dont cette exception est issue, que celle-ci visait notamment les stations-service n’employant pas de personnel et fonctionnant au moyen de pompes dites « bornes automates ».
A noter :
Ces fermetures d’établissements décidées par l’autorité préfectorale sur demande des partenaires sociaux ont pour but d’assurer à la fois l’effectivité du repos hebdomadaire et l’égalité de traitement des entreprises situées dans un même secteur d’activité et géographique. La Cour de cassation a d’ailleurs déjà jugé qu’elles ne portent pas atteinte à la liberté de concurrence, dès lors que toutes les entreprises de même nature de la région sont soumises aux mêmes règles (Cass. crim. 25-2-1986 no 85-90.167 P), s’appliquent à tous les établissements de la profession en cause, même s’ils n’emploient pas de salariés (CE 28-5-2003 no 247120), y compris aux commerçants qui travaillent seuls ou avec des membres de leur famille (Cass. crim. 6-7-1966 no 66-90.303 ; Cass. crim. 26-5-1976 no 75-92.879 P).
Dans la première espèce (pourvoi no 21-15.142), un arrêté préfectoral, pris en application de l’article L 3132-29 du Code du travail, ordonnait la fermeture sur tout le territoire du Var des magasins d’alimentation – à l’exclusion des commerces de boulangerie, de boulangerie-pâtisserie et pâtisserie –, au choix du chef d’établissement soit la journée entière du dimanche, soit la journée entière le lundi, ou du dimanche midi au lundi midi. Constatant lors d’un contrôle sur place que cet arrêté n’était pas respecté – le supermarché était ouvert le dimanche et le lundi toute la journée grâce à un système de caisses automatiques et employait sur site les employés d’une société de gardiennage –, plusieurs inspecteurs du travail avaient saisi le conseil de prud’hommes en référé.
Leur demande de fermeture de l’établissement a été rejetée par la cour d’appel qui a considéré que l’existence d’un trouble manifestement illicite invoquée par les inspecteurs n’était pas caractérisée. Pour elle, en effet, le recours à une intervention humaine, que ce soit par la hotline ou la présence d’agents de sécurité, ne permettait pas de dénier l’automaticité mise en oeuvre par la société dans l’ouverture et le fonctionnement de ses magasins ; en outre, il n’était pas démontré que les agents de sécurité et de surveillance, lesquels n’étaient pas salariés de la société, intervenaient aux termes de contrats de prestation de services et bénéficiaient d’une dérogation légale à la règle du repos dominical, agissaient en dehors de leur fonction afin de participer au fonctionnement du magasin, pour son rangement ou l’assistance aux caisses.
Les juges du fond apprécient souverainement si l’activité relève de l’exception légale
Outre la violation des dispositions du Code du travail régissant le travail dominical, les inspecteurs font valoir, à l’appui de leur pourvoi, la méconnaissance par la cour d’appel du principe de séparation des pouvoirs, les juges du fond ne pouvant se substituer à l’autorité administrative pour apprécier si l’activité considérée était exercée dans des conditions relevant de l’exception légale prévue par l’article L 3132-29, alinéa 1 du Code du travail.
La chambre sociale de la Cour de cassation ne retient pas leurs arguments et confirme en tout point la décision de la cour d’appel. Elle considère tout d’abord que c’est par une exacte application de la loi et sans violer le principe de la séparation des pouvoirs que la cour d’appel a décidé que la journée de fermeture imposée par l’arrêté préfectoral ne concernait pas les activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. Rappelant les constatations des juges du fond (voir ci-dessus), la chambre sociale approuve ensuite les juges du fond d’avoir décidé qu’aucun trouble manifestement illicite n’était caractérisé.
... à condition que ces agents ne participent pas à l’activité du magasin
Dans la seconde espèce (pourvoi no 21-19.075), les inspecteurs du travail ont constaté, dans plusieurs supermarchés de la société Casino, la présence le dimanche, après 13 heures, de salariés de l’établissement chargés d’aider les clients lors du paiement aux caisses automatiques ainsi que de salariés d’une société de surveillance et de gardiennage sous-traitante. Ils ont saisi le juge des référés du tribunal judiciaire d’une demande de fermeture des magasins pour violation des articles L 3132-3 et L 3132-13 du Code du travail.
Pour mémoire, l’article L 3132-3 prévoit que, dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche. L’article L 3132-13 stipule, quant à lui, que, dans les commerces de détail alimentaire, le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche à partir de 13 heures.
L’action des inspecteurs du travail est ici jugée recevable par la cour d’appel qui leur donne raison sur le fond.
Rappelons que l’article L 3132-31 du Code du travail donne le pouvoir à l’inspecteur du travail de saisir le juge des référés pour mettre fin à l’emploi de salariés en violation des règles relatives au repos dominical.
La société Casino soutenait à l’appui de son pourvoi, d’une part, qu’aucun de ses salariés n’était présent sur les lieux le dimanche après-midi et qu’elle n’était pas l’employeur des agents de sécurité et, d’autre part, que la recevabilité de la saisine des inspecteurs du travail étant subordonnée à la double condition d’un emploi illicite des salariés et de la violation des dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du Code du travail, la cour d’appel ne pouvait pas considérer que l’action était recevable dans la mesure où les agents de sécurité étaient employés par une entreprise de surveillance et de gardiennage qui relève de la catégorie d’établissements admis à donner le repos hebdomadaire par roulement à leurs salariés effectuant des services de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l’incendie. Elle pouvait donc les employer le dimanche.
La Cour de cassation rejette ces deux arguments. Pour elle, le pouvoir de saisir le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser l’emploi illicite de salariés en infraction des articles L 3132-3 et L 3132-13 du Code du travail, que l’inspecteur du travail tient de l’article L 3132-31 du même Code, peut s’exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu’il s’agisse de salariés de l’établissement ou d’entreprises de prestation de services.
S’agissant ensuite de la recevabilité de l’action des inspecteurs du travail, qu’elle confirme, la chambre sociale rappelle la différence entre le bien-fondé d’une action et sa recevabilité, différence que les juges du fond avaient bien marquée en relevant qu’ils étaient saisis par les inspecteurs du travail d’une demande concernant la violation des règles du travail dominical et que la question de l’illicéité de l’emploi relevait du bien-fondé de la demande.
Contrairement à l’arrêt précédent, les juges du fond ont relevé que les agents de sécurité avaient outrepassé le cadre de leurs fonctions en participant à l’activité du magasin. Dès lors, les modalités de fonctionnement et de paiement n’étaient pas automatisées. La cour d’appel a donc pu décider que des salariés étaient employés en violation des règles sur le repos dominical et que la fermeture des établissements était justifiée.
A noter :
Ces deux arrêts montrent que la violation des règles du travail dominical repose sur les constatations des juges du fond et que, dès lors qu’il résulte de ces dernières que les agents de sécurité, engagés dans le cadre d’une prestation de services, ont outrepassé le périmètre de leurs fonctions pour contribuer au fonctionnement du magasin, celui-ci ne peut plus être considéré comme fonctionnant de manière automatisée. Dans la seconde espèce, l’emploi de salariés de manière illicite par l’exploitant du magasin était donc caractérisé.
Documents et liens associés
Cass.soc. 26-10-2022 n° 21-15.142 FS-B, K. c/ Sté Distribution Casino France