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L’usufruitier qui abuse de son droit peut le perdre de manière absolue : illustration

Constitue une faute grave, sanctionnée par l’extinction absolue de l’usufruit, la carence totale et ancienne d’une veuve dans l’exercice de son usufruit causant une dégradation manifeste de l’immeuble et nécessitant d’importants travaux avant toute entrée dans les lieux.

Cass. 1e civ. 2-10-2024 n° 22-15.701 FD


Par Florence GALL-KIESMANN
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©Getty Images

Au décès d’un homme, sa veuve recueille l’usufruit de tous les biens de la succession. Deux enfants du défunt reprochent à leur belle-mère notamment un défaut d’entretien d’un immeuble successoral. La cour d’appel les suit et prononce l’extinction de l’usufruit sur ce bien. La veuve se pourvoit invoquant une motivation insuffisante.

En vain. La Cour de cassation rappelle d’abord que (C. civ. art. 618) :

  • l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien ;

  • les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, prononcer l’extinction absolue de l’usufruit ou ordonner la restitution de la jouissance du bien au propriétaire à charge, pour lui, de payer annuellement à l’usufruitier, ou à ses ayants cause, une somme déterminée, jusqu’à l’instant où l’usufruit aurait dû cesser.

Ensuite, elle s’en remet à l’appréciation souveraine de la cour d’appel. Celle-ci a retenu que la carence totale et ancienne de la veuve dans l’exercice de son usufruit était à l’origine de la dégradation manifeste de l’immeuble imposant la réalisation de travaux lourds et onéreux avant toute entrée dans les lieux. Elle en a déduit que la gravité de la faute commise devait être sanctionnée par l’extinction absolue de l’usufruit.

A noter :

L’abus de jouissance est une des causes d’extinction de l’usufruit (C. civ. art. 618). L’article précité en donne deux exemples (dégradations sur le fonds ou défaut d’entretien conduisant au dépérissement du bien), qui ne sont nullement limitatifs. De manière plus générale, tout acte de l’usufruitier de nature à compromettre la conservation et la restitution de la chose peut être considéré comme un abus de jouissance (par exemple, Cass. 3e civ. 4-6-1975 n° 74-10.777 : Bull. civ. III n° 194, à propos de la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destinés à un autre usage). En la matière, l’appréciation des juges du fond est souveraine.

Il en va de même pour l’évaluation de la sanction (Cass. 3e civ. 12-3-1970 : Bull. civ. III n° 205, D. 1970 p. 692). En fonction de la gravité de la faute, les juges peuvent décider d’une extinction totale ou partielle ou encore de la restitution du bien au (nu-) propriétaire contre versement annuel d’une certaine somme à l’usufruitier, jusqu’au jour où l’usufruit aurait dû s’éteindre. Les juges peuvent aussi choisir de maintenir l’usufruit, mais avec des garanties pour le nu-propriétaire, une caution notamment.

En l’espèce, la veuve s’est retrouvée déchue de son droit ; dans le même sens pour le défaut d’entretien d’immeubles (Cass. 3e civ. 12-3-1970 précité), ou pour défaut de soins culturaux appropriés ayant provoqué la dépréciation d’un vignoble (Req. 3-1-1934 : Gaz. Pal. 1934 I p. 445). À vrai dire, les tribunaux ne prononcent la déchéance que pour des faits graves et en cas de mauvaise volonté flagrante de l’usufruitier.

Signalons enfin que cette peine civile ne semble pas s’appliquer au quasi-usufruit, le quasi-usufruitier ayant justement le droit d’user de la chose comme il l’entend, à charge de restitution de la chose elle-même ou de son équivalent à l’extinction de son droit (en ce sens, Rép. civ. Dalloz, Usufruit, v° Règlements constitutifs à l’extinction de l’usufruit par A. Chamoulaud-Trapiers n° 486 ; en sens contraire mais ancien et isolé : Req. 21-1-1845 : DP 1845 I p. 104).

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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