La 11e rencontre notariale d’Ile-de-France, organisée le 18 avril 2017 à Paris par l’association intermaster des étudiants de droit notarial (voir La Quotidienne du 27 avril 2017), a mis en lumière les impacts de la révolution numérique sur la pratique notariale. Luc Thomas, notaire à Chaville (Hauts-de-Seine), a retenu trois sujets au cœur de la mutation technologique en cours.
La vidéo-signature
« L’acte notarié sur support électronique est aujourd’hui couramment pratiqué au sein du notariat. Le Conseil supérieur du notariat (CSN) impulse actuellement la diffusion de la visio-conférence qui permet de mettre en relation différentes personnes par l’intermédiaire d’écrans interposés. La vidéo-signature devrait suivre. Concrètement, clients et notaires seront en relation par visio-conférence. Les actes authentiques sur supports électroniques seront alors échangés pour être signés. En pratique, il est de plus en plus difficile de réunir des clients chez un notaire, de rassembler tous les intervenants pour un rendez-vous dans un même lieu. Il faut trouver du temps, se déplacer, faire face aux problèmes de circulation dans les grandes agglomérations ou en périphérie, à Paris notamment. Les clients et les notaires partagent le sentiment de perdre du temps. Les clients ont préalablement connaissance, par l’échange des pièces, de ce que contient leur dossier. Le rendez-vous concrétise simplement leur volonté de signer un acte. Pour eux, il ne se passe donc pas grand-chose au cours de la signature. Il est tout aussi compliqué de faire venir des chefs d’entreprise et ou des responsables de collectivités territoriales dans les offices car ils ont l’habitude d’être conseillés dans leurs bureaux. Tous les professionnels et les prestataires qui les côtoient le savent, c’est à eux de se déplacer et non l’inverse. Cette nouvelle technologie modifiera la pratique. Avec la vidéo-signature, il sera plus facile de faire venir les clients, quels que soient leurs profils ou leurs contraintes, à 5 minutes de leur domicile ou de leur lieu de travail. »
La blockchain
« Pour résumer, il s’agit d’une opération ou d’une transaction matérialisée informatiquement de telle sorte que sa fiabilité soit associée à une validation par un certain nombre d’opérateurs qui ont chacun la possibilité de considérer l'opération en question comme recevable. Une fois validée, la transaction est réputée fiabilisée, conservée et enregistrée sur un nombre conséquent d’ordinateurs. Plusieurs serveurs détiennent et stockent les mêmes informations qui sont dès lors parcellisées. Pour constater la réalité de l’opération, on assemble un puzzle d’éléments (sur cette question, voir aussi La Quotidienne du 13 avril 2016).
Les promoteurs de la blockchain prétendent qu’elle remplacera le notaire parce qu'il n’y aura plus besoin de payer un intermédiaire pour garantir la validité d’une transaction et s’assurer qu’elle peut être effectuée. Plus besoin des notaires, par exemple, pour accomplir les vérifications cadastrales ou pour conserver les actes authentiques qui attestent des transactions intervenues. Ces promoteurs voient aussi l’avènement d’une technologie qui accélérera les transactions et simplifiera les opérations. La blockchain réduira les étapes puisqu’il suffira d’avoir des ordinateurs ramenant et validant les bonnes informations pour que les opérations soient instantanément réalisées.
Cette promesse est-elle réaliste ? Sur le plan de la réunion des informations, on peut effectivement penser qu’il est possible de collecter et de certifier des informations autrement que par l’intermédiaire des notaires. Pour autant, dans l’immédiat, seul le notaire sait quelles informations réunir pour la bonne réalisation d’une transaction. Ce serait simple si tout était prédictible. Hélas, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Il peut y avoir des anomalies, un vendeur qui change d’avis, un bien transformé sans autorisation, une commune qui exerce son droit de préemption, un titre de propriété faisant l’objet d’une action judiciaire, etc. Autant d'événements imprévisibles. Ces aléas peuvent-ils être matérialisés par blockchain ? Permettra-t-elle l’enregistrement de la transaction en cas d’annulation ou de préemption ? C’est difficile à concevoir pour l'heure.
Il ne faut pas pour autant s’en désintéresser. Si la blockchain se développe, elle concurrencera les actes authentiques. Le jour où elle permettra d’envisager des transactions sécurisées, il faudra pouvoir s’en servir. »
Les chatbots
« Ce nom barbare (chat pour messagerie et bot pour robots) désigne des agents conversationnels, c’est-à-dire des programmes ou des scripts qui interagissent avec un opérateur ou effectuent des opérations de manière automatisée et séquentielle. Ils sont déjà présents dans les smartphones (par exemple Siri dans les appareils mobiles sous système iOS) et facilitent la recherche d’informations, la consultation d’un agenda, l’envoi d’un mail à un contact, etc. Les systèmes de messagerie prennent de plus en plus d’ampleur. On discute avec un robot qui répond jusqu’à un certain point au-delà duquel on doit consulter un service d’assistance.
Avec l’intelligence artificielle et le big data (accès à une masse d’informations), les chatbots permettront de chercher des informations de plus en plus complexes et de répondre aux questions les plus simples sans intervention humaine. Les chatbots impacteront la profession car ils permettront aux notaires de ne pas avoir à demander des documents dans les dossiers (accès aux éléments cadastraux par exemple) et d’automatiser cette étape. Le robot constituera le dossier en récoltant tous les documents nécessaires à la signature. Le rôle du notaire évoluera. Il devra recentrer son activité sur ce qui en fait la valeur ajoutée, à savoir le conseil et le service aux clients. »
En conclusion
« Ces perspectives sont à prendre en compte et conduisent à s'interroger sur la manière dont elles doivent être intégrées dans la pratique professionnelle. On peut espérer que le CSN et les différents prestataires développent ces applications pour que les notaires les utilisent. Les technologies évoluent très rapidement.
Rien n’interdit aux notaires d’utiliser les outils technologiques d'ores et déjà à la disposition du grand public. Il appartient à chaque notaire de se demander dans quel contexte il peut en faire usage au sein de l’office ou de son activité quotidienne. Le risque est que des professionnels concurrents les assimilent et que les clients intéressés par ces applications soient conduits à se tourner vers d’autres. Heureusement, des sociétés se développent et proposent désormais au notariat des outils de numérisation tels MyNotary (voir La Quotidienne du 23 février 2017) ou Fox Not. »
Propos recueillis par Alexandra DESCHAMPS