La Quotidienne : La question de la transformation digitale des cabinets d’EC fait presque désormais figure de serpent de mer. Où en sont-ils vraiment ? Quels points de blocage demeurent ?
Yoann BRUGIERE : Les experts-comptables ont clairement franchi le cap de la communication et collaboration numérique, que ce soit entre collaborateurs d’un cabinet d’expertise comptable ou entre les collaborateurs et leurs clients. La plupart des cabinets utilisent désormais des outils de communication moderne (webinaires, vidéos…) ou de collaboration digitale (logiciels de partage de travail en mode « chat » reliés à une plateforme de gestion et de partage des documents « cloud », tels que Slack ou Microsoft Teams). Ce type d’outils a facilité la transition digitale par leur simplicité d’implémentation et d’utilisation.
Il est à noter que l’essor digital principal des dernières années tient à l’utilisation des outils cloud chez les experts-comptables et les automatisations que ceux-ci permettent. Ces diverses technologies comptables existantes facilitent la dématérialisation des pièces comptables, l’automatisation de la saisie des données en matière de dépenses, de revenus, d’écritures d’inventaires et autres. Ces outils demandent un temps d’implémentation un peu plus significatif que l’implémentation d’outils de télécommunication.
Les efforts et les investissements mis en place par les fournisseurs de logiciels comptables ont rendu l’accès à ces solutions plus simple. Cette politique a permis à beaucoup de cabinets d’évoluer vers ce type de logiciels, quand bien même ils pouvaient être réticents à une telle transition au départ. Ce passage a également permis à certains cabinets de faciliter le travail à distance ou la mise en œuvre d’une politique « zéro papier ».
Points de blocage
Les cabinets peuvent aller plus loin dans la digitalisation notamment grâce à l’intelligence artificielle et les outils de « big data ». Cette étape est pour le moment un point de blocage dans le développement du numérique au sein des cabinets. Il est principalement dû à un manque d’expérience car ces technologies sont relativement nouvelles. De plus, la compréhension et l’implémentation de ces technologies demandent encore à ce jour des compétences informatiques nouvelles et un peu plus poussées. Il s’agit-là d’un point de blocage essentiel pour certains professionnels qui sont réticents au recours à de tels outils parfois difficiles à maîtriser.
Un deuxième point de blocage est également la sécurité informatique. Beaucoup de cabinets sont désormais à l’aise avec la sécurité informatique au sein de réseau VPN par exemple. Cependant, un nouvel environnement cloud exige la mise en place d’un plan de cybersécurité et il s’agit-là de nouvelles technologies de sécurité que les professionnelles comptables hésitent à manipuler.
Enfin, la mise en place d’un environnement cloud total implique la possibilité d’un travail à distance facilité. Cela peut également constituer un élément de blocage car certains cabinets ne sont pas à l’aise à l’idée que leurs collaborateurs puissent travailler de manière indépendante à distance, il s’agit d’un nouveau schéma de pensée.
La Quotidienne : De quelle manière cette transformation bouleverse-t-elle le métier d’expert-comptable ?
Yoann BRUGIERE : La transformation digitale bouleverse le métier traditionnel de l’expert-comptable car celui-ci peut maintenant être intégralement automatisé. Cette transformation renforce la position des experts-comptables en tant que consultants et experts privilégiés.
Ainsi, l’expert-comptable se doit de repositionner sa valeur ajoutée. La digitalisation, qui créé un gain de temps et de productivité, permet à l’expert-comptable de se concentrer désormais sur des tâches à plus forte valeur-ajoutée, telles l’analyse des données ou le conseil comptable et fiscal, voire développer des compétences transversales. Il peut, en outre, entrer sur de nouveaux métiers (évaluation de sociétés, conseil au sens large, gestion de patrimoine....).
Au sein d’Orbiss, par exemple, notre objectif est clair. Une des premières étapes de la relation client est d’étudier les outils et les procédures déjà mis en place chez le client afin de capitaliser sur l’existant tout en l’améliorant à travers la proposition de fonctionnalités ou de logiciels complémentaires. L’idée est de faciliter l’intégration comptable et ainsi de remonter des données fiables et en temps voulu au groupe.
L’expert-comptable peut également focaliser son attention sur des aspects humains ou des compétences comportementales ou transversales, à être toujours plus réactif. À cet effet, Orbiss s’est construit et promeut des relations bienveillantes et humaines à la fois avec ses clients mais également avec ses collaborateurs. L’objectif étant de développer un cabinet citoyen et responsable à travers des relations durables.
De plus en plus d’experts-comptables se servent également de ce gain de productivité pour développer des missions annexes beaucoup plus poussées qu’auparavant ou qu’ils ne proposaient pas jusqu’ici. Ainsi, dans cet environnement informatique accru, les missions de conseil sur les outils ou plateformes informatiques eux-mêmes, ainsi que les missions d’implémentation de ces outils deviennent des missions essentielles d’accompagnement comptable des clients, notamment pour les TPE/PME. Dans ce cadre, l’expert-comptable détient une vraie valeur ajoutée grâce à ses connaissances comptables et fiscales techniques, mais également grâce sa connaissance de l’utilisation des outils.
L’avenir de la profession passera nécessairement par une forte compréhension du fonctionnement des divers outils digitaux et d’intelligence artificielle existants sur le marché.
La Quotidienne : Quels leviers de croissance la digitalisation des cabinets permet-elle d’actionner clairement aujourd’hui ?
Yoann BRUGIERE : Capitaliser sur ces nouvelles technologies est le premier levier de croissance pour les cabinets. En étant précurseur de l‘implantation de ces nouvelles technologies, l’expert-comptable va acquérir des compétences complémentaires et sera en mesure de proposer des missions d’implantation et/ou de formation de ces outils comptables digitaux. L’expert-comptable peut ainsi participer directement à la transformation digitale et à l’amélioration de la productivité des services comptables de ses clients.
Le gain de temps et de productivité à la suite de la transformation digitale d’un cabinet peut également être utilisé au développement et à la diversification des missions de conseil proposées.
Enfin, il est possible d’imaginer un futur où l’IA viendrait simplifier l’organisation d’un cabinet d’expertise comptable, et pas seulement avec le traitement de quelques tâches comptables. Une des possibilités de l’utilisation de l’IA dans le futur, en collaboration avec des éléments de « big data », serait le regroupement et la consolidation sur une même plateforme des logiciels de gestion des missions client, mais également des logiciels de gestion du cabinet, ainsi que des outils de communication. Il n’y aurait donc plus besoin de se connecter sur diverses applications séparément. Le collaborateur comptable et le client pourront se connecter sur une même et unique plateforme partageant les mêmes données et facilitant ainsi l’accès à tous les outils. L’exploitation de ces données à travers l’IA et le big data peut donc devenir un levier de croissance significatif et permettre l’optimisation des autres leviers de croissance.
Chez Orbiss, nous implémentons au maximum nos capacités les fonctionnalités technologiques disponibles afin d’éliminer les tâches les plus récurrentes et robotiques. L’objectif étant pour les collaborateurs d’utiliser leur temps dans la production de tâches à forte valeur ajoutée et de délivrer ainsi un travail de qualité.
La Quotidienne : Pensez-vous que l’exploitation de la masse de données comptables dont disposent les cabinets (données économiques, patrimoniales, géographiques, financières…) compte au nombre de ces leviers de croissance ?
Yoann BRUGIERE : L’exploitation des données peut potentiellement être un levier de croissance significatif car elle pourrait constituer une plus-value considérable pour l’expert-comptable en termes de gain de productivité et d’anticipation des besoins clients.
L’implantation d’une plateforme cloud unique, comme évoqué ci-dessus, intégrant des fonctionnalités d’IA et de « big data » pourrait permettre une interconnectivité entre les données du cabinet. Ces données auraient ainsi la faculté de se « parler » et d’anticiper, par exemple, la reconnaissance des écritures de clôture et la reconnaissance des ajustements fiscaux. À terme, l’IA pourrait également anticiper les tâches des experts-comptables et des clients du cabinet en proposant et effectuant les tâches au préalable. À titre d’exemple, chez Orbiss, nous travaillons sur l’implémentation de l’IA pour la gestion des tâches suivantes :
- la planification des équipes ;
- la saisie des temps des collaborateurs en fonction de l’utilisation de la plateforme par ceux-ci ;
- l’anticipation de la préparation des déclarations fiscales ;
- la préparation de la facturation client du cabinet en fonction des temps et des lettres de missions ;
- la proposition de l’envoi de « Newsletter » aux clients impactés par une nouvelle loi ou réglementation.
Ces tâches nécessiteront une revue et une approbation de l’expert-comptable. Les clients seront ainsi plus attentifs aux analyses de ces données et aux conseils en résultant. Ces gains de temps et de productivité complémentaires vont permettre aux experts-comptables de se recentrer sur un rôle de conseiller et d’expert pour lequel il est déjà reconnu. Ce rôle de conseiller essentiel est de plus en plus affirmé grâce notamment à une complexité croissante et au caractère évolutif des réglementations fiscales, ainsi qu’aux risques accrus de conformité fiscale.
Le phénomène de la mondialisation et l’ouverture de nouveaux marchés amènent naturellement des opportunités additionnelles à l’expert-comptable. Il peut ainsi devenir un vrai appui à l’internationalisation des sociétés en tant qu’expert des problématiques internationales et non seulement en tant qu’expert de la réglementation interne nationale.
L’expert-comptable a une vraie valeur-ajoutée à apporter et un vrai rôle à jouer dans ce contexte global de digitalisation.
La Quotidienne : La crise sanitaire du Covid-19 va accélérer la mise en place de solutions digitales au sein des cabinets ? Pourquoi, comment ?
Yoann BRUGIERE : La crise du Covid-19 que nous traversons a mis en lumière l’importance de la digitalisation du métier d’expert-comptable. Les cabinets qui n’avaient pas implémenté des outils digitaux de base ont dû sauter le pas pour répondre à un besoin d’urgence à court-terme. Principalement, la mise en place des outils de télécommunication, de partage et de revue de documents ont largement été sollicités et implémentés. Dans ce cadre-là, la crise a aidé à l’adaptation à long-terme du travail à distance.
Cependant, la mise en place d’un environnement digital global au sein des cabinets ne doit pas répondre à des besoins urgents. La mise en place des solutions digitales doit en effet passer par la réflexion et l’élaboration d’une stratégie numérique globale impulsée par une volonté politique des associés. Il s’agit-là d’un projet d’entreprise à part entière d’un cabinet, qui doit consister à la mise en place d’une équipe projet intégrée dans la définition de la stratégie numérique du cabinet. Cet enjeu est encore plus appuyé par l’avancée des outils informatiques avec le temps et au fur et à mesure de l’avancée des technologies d’IA et de « big data » notamment.
L’environnement numérique actuel est en constante évolution et s’avoir s’adapter à ces changements devient alors indispensable. Le virage numérique ne pourra être franchi sans adopter cette culture du changement. Cette culture implique la planification de temps et budgets complémentaires et l’intégration des nouvelles générations dans ces politiques de changements. L’expert-comptable a donc une vraie chance de profiter de ce virage numérique par l’intégration des nouvelles générations plus sensibles aux changements de technologies numériques ; ceci afin de créer des synergies intergénérationnelles d’équipes dans le cadre de la politique numérique globale du cabinet.
Pour pallier ces difficultés, l’essence même d’Orbiss est fondée sur l’envie d’innover, lui permettant de bousculer les codes du métier et de remettre l’humain au cœur de l’entreprise en appliquant des valeurs de bienveillance, de respect d’autrui et d’intégrité professionnelle. Nous nous considérons, en plus d’être experts-comptables, comme des entrepreneurs qui donnons la parole aux entrepreneurs.
Par Yoann BRUGIERE, co-fondateur et associé d’Orbiss