Une femme est décédée, en laissant pour lui succéder son conjoint. De son vivant, elle avait reçu dans le partage de la succession de sa mère des biens immobiliers dont une partie en règlement d’une créance de salaire différé. Lors du partage de sa propre succession, un litige est né entre son conjoint et ses sœurs quant à l’étendue du droit de retour légal de ces dernières. Peut-il s’exercer sur la quote-part des biens reçue par la défunte dans la succession de sa mère en règlement de sa créance de salaire différé ?
La cour d’appel a répondu par l’affirmative : l’ensemble des biens attribués à la défunte dans l’acte de partage de la succession de sa mère, présents en nature au jour de l’ouverture de sa succession, constitue l’assiette de l’exercice du droit de retour légal.
La Cour de cassation censure cette décision : en application des dispositions relatives au droit de retour légal des collatéraux privilégiés et à la créance de salaire différée (C. civ. art. 757-3 et C. rur. art. L 321-17, al. 1), ledit droit de retour ne peut pas porter sur les biens attribués en règlement de la créance de salaire différé. Par conséquent, l’assiette du droit de retour légal des sœurs de la défunte est constituée de la quote-part des biens qui a été attribuée à cette dernière, au titre de ses droits dans l’actif net successoral, par l’acte de partage de la succession de leur mère, et qui se retrouvent en nature dans sa succession.
A noter :
Comme le relève Nicole Pétroni-Maudière, maître de conférences à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 a augmenté de manière conséquente les droits successoraux du conjoint survivant, lequel évince désormais les collatéraux privilégiés – frères et sœurs du de cujus et leurs descendants – et recueille la totalité de la succession « en l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère » (C. civ. art. 757-2). Toutefois, afin d’assurer la conservation des biens de famille, la loi a introduit un droit de retour légal au profit des collatéraux privilégiés. Ainsi, si le défunt laisse dans sa succession des biens qu’il a reçus par succession, légale ou testamentaire, ou par donation de ses ascendants – parents ou grands-parents –, ces biens sont, « en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission » (C. civ. art. 757-3). L’autre moitié revient au conjoint. Dès lors, lorsque ce droit trouve à s’appliquer, s’ouvrent deux successions : une succession ordinaire qui comprend tous les biens autres que les biens de famille et qui est dévolue en totalité au conjoint (C. civ. art. 757-2) et une succession anomale portant sur les biens de famille, qui est dévolue pour moitié au conjoint et pour l’autre moitié aux collatéraux privilégiés (C. civ. art. 757-3).
La question soumise à la Cour de cassation concernait l’étendue de l’exercice du droit de retour. Il s’agissait de savoir si, lorsque le de cujus n’a recueilli par succession qu’une quote-part des biens qui lui ont été attribués dans le partage, l’autre quote-part des biens lui ayant été attribuée en règlement d’une créance de salaire différé, le droit de retour s’exerce sur l’ensemble des biens attribués. La réponse apportée est claire : les biens reçus de son ascendant par la défunte en règlement de sa créance de salaire différé échappent au droit de retour légal de ses sœurs non seulement pour le calcul des droits de retour, mais aussi pour leur exercice. Le droit de retour légal des frères et sœurs ne peut s’exercer que sur la partie des biens attribués à la défunte au titre de ses droits successoraux. Elle s’impose en toute logique si l’on s’attache à l’analyse retenue de la notion de créance de salaire différé.
Au décès d’un exploitant agricole, les enfants qui ont participé à l’exploitation sans recevoir de rémunération sont titulaires d’un droit de créance contre la succession : ils sont « réputés légalement bénéficiaires d’un contrat de travail à salaire différé (…) » (C. rur. art. L 321-13). La Cour de cassation analyse la notion de créance de salaire différé comme une dette du de cujus lui-même, assortie d’un terme suspensif (Cass. 1e civ. 18-1-2012 n° 10-24.892 FS-PBI : RTD civ. 2012 p. 350 note M. Grimaldi). Autrement dit, il s’agit d’une créance née du vivant de l’exploitant dont seule l’exigibilité est repoussée à son décès. L’enfant est donc titulaire d’une créance qui s’exerce contre la succession et non d’un droit héréditaire qui s’exercerait dans la succession (M. Grimaldi : Droit des successions LexisNexis 7e éd. 2017, n° 587 p. 467) : il agit en qualité de créancier et non d’héritier. Quant au mode de règlement, il peut prendre la forme d’une attribution en nature, qui se réalise au moyen d’un prélèvement sur la succession de l’exploitant, lequel s’effectue avant tout partage. Dès lors, les biens prélevés par la défunte au titre de sa créance de salaire différé ne peuvent constituer l’assiette de l’exercice du droit de retour de ses collatéraux privilégiés, laquelle se limite aux biens attribués dans le partage à titre gratuit.
L’exercice du droit de retour légal a pour effet de créer une indivision sur la quote-part des biens familiaux qui n’a pas été prélevée au titre de la créance de salaire différé, entre le conjoint survivant, successeur ordinaire, et ses belles-sœurs, successeurs anomaux, exposant lesdits biens au risque de licitation. Cet effet contraire à la finalité de l’institution atteste des limites de celle-ci (sur l’ambiguïté de ce dispositif, voir Mémento Successions Libéralités 2022, dir. B. Vareille, n° 25385 par B. Vareille). On rappellera que, le droit de retour de l’article 757-3 du Code civil n’étant pas d’ordre public, le défunt peut l’écarter en léguant les biens de famille, y compris à son conjoint.