Une société titulaire de marques composées du nom de son fondateur fait l'objet d'une procédure collective à l'issue de laquelle ces marques sont cédées à une autre société et le fondateur continue pendant un certain temps à collaborer avec cette dernière.
Plusieurs années après la fin de cette collaboration, la société ayant acquis les marques reproche au fondateur d'avoir, en poursuivant ses activités personnelles et artistiques, porté atteinte à ses droits sur les marques. Mais ce dernier lui oppose que l'usage fait des marques, qui laissait croire qu'il était le créateur des produits qui en étaient revêtus, était trompeur, que ces marques étaient donc devenues déceptives et qu'il convenait par conséquent d'en prononcer la déchéance.
Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation lui donne raison.
Elle jugeait auparavant que le cédant de droits portant sur une marque, qui est tenu de respecter l'article 1628 du Code civil sur la garantie d’éviction, n'est par conséquent pas recevable à former une action en déchéance de ces droits pour déceptivité acquise de cette marque, laquelle tend à l'éviction de l'acquéreur (Cass. com. 31-1-2006 n° 05-10.116 FS-PB : RJDA 5/06 n° 595).
Toutefois, la garantie au profit du cessionnaire cesse lorsque l'éviction est due à sa faute.
Le maintien du droit sur une marque est soumis à un certain nombre de conditions d'usage qui contraignent son titulaire. Ainsi, une marque ne doit pas être exploitée dans des conditions de nature à tromper effectivement le public ou à créer un risque grave de tromperie (CJCE 4 mars 1999 aff. 87/97, point 41). Et le cédant peut être le mieux, voire le seul, à même d'identifier l'existence d'une tromperie effective du public ou d'un risque grave d'une telle tromperie.
La Cour de cassation en conclut qu'il est désormais fait exception à la sanction automatique de l'irrecevabilité lorsque l'action en déchéance pour déceptivité acquise d'une marque est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire.
A noter :
La garantie d’éviction a pour objet de protéger l’acquéreur contre l’atteinte que pourrait porter le vendeur à la propriété cédée. Ce dernier doit en conséquence s’abstenir de troubler l’acheteur dans sa possession. La garantie du fait personnel du vendeur lui interdit tant les troubles de fait que les troubles de droit à l’encontre de l’acquéreur.
En ce qu'elle tend à évincer l'acquéreur, l’action en déchéance fondée sur la déceptivité du signe et tirée de ce que la personne physique dont le nom de famille constitue la marque cédée ne participe plus à la conception des produits ou services marqués, comme en l'espèce, apparaissait donc contraire aux dispositions des articles 1626 et 1628 du Code civil.
Mais dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation fait évoluer sa jurisprudence. Cet assouplissement est bienvenu au regard, en particulier, du caractère d’ordre public de ce motif de nullité ou de déchéance. Il devrait inciter celui qui a acquis une marque à éviter, par ses manœuvres, de tromper le public ou de créer un risque de tromperie.
Après avoir jugé l’action du cédant recevable, la Cour de cassation a transmis une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne : les articles des directives européennes 2008/95 et 2015/2436 relatifs à la déchéance pour déceptivité permettent-ils le prononcé de la déchéance d'une marque portant sur le nom de famille d'un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession, dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que le créateur, dont le nom de famille constitue la marque, participe toujours à la création des produits revêtus de cette marque alors que tel n'est plus le cas ?
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