Par actes séparés signés le même jour, trois des quatre associés d’une société cèdent leurs parts à une autre société ; le même jour, le quatrième associé vend aussi ses parts, pour partie à la société achetant la participation de ses coassociés et, pour partie, au dirigeant de cette société. Chaque acte de cession comporte une garantie de passif, qui est mise en œuvre par les acquéreurs.
Une cour d’appel condamne solidairement les cédants à verser la somme due au titre de la garantie aux deux acquéreurs « pris ensemble », à charge pour ces derniers de se répartir les fonds au prorata des parts acquises. Elle estime que, les cinq actes de cession ayant conduit à une prise de contrôle de la société, le caractère commercial de l’opération était indiscutable et la solidarité était présumée (sans que les cédants apportent la preuve contraire).
La Cour de cassation censure cette décision. En effet, le second acquéreur n'avait acquis des parts sociales que du quatrième associé ; ne pouvait donc pas produire d'effet à son égard la solidarité dont bénéficiait la société acheteuse envers tous les cédants.
A noter :
La solidarité entre créanciers (dite « active ») ne répond pas au même régime que la solidarité entre débiteurs (dite « passive »).
Si la solidarité ne se présume pas en matière civile (C. civ. art. 1310), la solidarité entre débiteurs est présumée en matière commerciale et ne peut être écartée que par une clause expresse (Cass. com. 30-8-2023 n° 22-10.466 F-B : BRDA 18/23 inf. 2). La cession de droits sociaux ayant pour objet ou pour effet le changement du contrôle d’une société commerciale est un acte de nature commerciale (notamment, Cass. com. 28-11-1978 n° 77-12.609 : Bull. civ. IV n° 284 ; Cass. com. 24-11-1992 n° 91-10.699 P : RJDA 2/93 n° 124), auquel s’attache donc une présomption de solidarité (Cass. com. 28-4-1987 n° 85-17.093 : Bull. civ. IV n° 103).
Il en est ainsi même lorsque les parties n’ont pas la qualité de commerçant (Cass. com. 28-11-2006 n° 05-14.827 F-D : RJDA 5/07 n° 489) et même à l’égard du cédant minoritaire (en dernier lieu, Cass. com. 30-8-2023 précité). Par exemple, les cédants participant à une cession de contrôle sont solidaires entre eux des obligations qu’ils ont souscrites, telles l’exécution de la garantie de passif (Cass. com. 28-11-2006 n° 05-14.827 F-D : RJDA 5/07 n° 48) ou la restitution d’une somme en application d’une clause de révision de prix (Cass. com. 30-8-2023 précité). Les acquéreurs sont, quant à eux, solidairement tenus du paiement du prix (Cass. com. 22-3-2005 n° 01-16.331 F-D : RJDA 8-9/05 n° 987).
Entre créanciers d’une obligation, même commerciale, le principe est inversé : il n’y a pas de présomption de solidarité (Cass. com. 26-9-2018 no 16-28.133 P : RJDA 1/19 n° 21, rendu à propos d’une cession de droits sociaux) ; seule une clause expresse peut prévoir la solidarité active en conférant à chacun des créanciers le droit d’exiger et de recevoir du débiteur le paiement total de la créance (C. civ. art. 1311 ; Cass. 1e civ. 27-4-2004 n° 02-10.347 FS-PB : RJDA 4/05 n° 448).
Dans l’affaire commentée, les cédants étaient tous les quatre solidairement tenus de l’exécution de la garantie de passif à l’égard du premier acquéreur mais pas du second, Ce dernier n'avait en effet acquis de droits sociaux qu'auprès d'un seul des cédants ; il n'avait donc qu'un seul débiteur, et non plusieurs. Il n'y avait, en outre, pas de solidarité active entre les bénéficiaires de la garantie de passif.
Ces éléments interdisaient à la cour d’appel de prononcer une condamnation des quatre cédants au profit des deux acquéreurs « pris ensemble ».
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