L'état d'urgence est prorogé, les mesures dérogatoires en lien avec lui, aussi
La situation sanitaire restant critique (Exposé des motifs du projet de loi), l'article 1,I du projet de loi proroge de 2 mois l’état d’urgence sanitaire mis en place par la loi 2020-290 du 23 mars 2020. La date de fin de cet état d'urgence est fixée au vendredi 10 juillet inclus.
À noter : Signalons que, dans le texte du projet de loi déposé par le Gouvernement, la date de fin envisagée était le 23 juillet inclus. Les parlementaires se sont finalement mis d'accord pour la date du 10 juillet.
D’après l’exposé des motifs du projet de loi, cette durée supplémentaire doit permettre de prévenir la levée pure et simple des mesures indispensables à la protection de la santé des Français, et de définir les modalités d'une reprise progressive des activités à compter du 11 mai, en adéquation avec l'évolution de la situation sanitaire.
La prorogation de l'état d'urgence sanitaire entraîne la prolongation des mesures dérogatoires ou exceptionnelles prises récemment et dont la date de fin est liée à la fin de cet état d’urgence. Sont notamment concernées les mesures suivantes :
– adaptation des délais et procédures administratifs et judiciaires ;
– suspension des processus électoraux dans les entreprises ;
– suspension des délais régissant le recouvrement forcé des cotisations et contributions sociales, ainsi que de ceux régissant le contrôle et le contentieux subséquents.
À noter : Dans son avis du 1er mai 2020 sur le projet de loi, le Conseil d’État considère que la prorogation de l’état d’urgence est justifiée par la gravité de la menace que la catastrophe sanitaire continue de faire peser sur la santé de la population et que cette prorogation est adaptée et proportionnée à la situation présente. La Haute Juridiction administrative attire toutefois l’attention du Gouvernement sur les conséquences de cette prorogation sur le prolongement de la durée des nombreuses mesures décidées par les ordonnances prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et apportant des dérogations aux dispositions légales de droit commun, notamment en matière de délais. Ces dérogations ont, dans de nombreux cas, pour terme la durée de l’état d’urgence augmentée d’un mois. Elles étaient justifiées par la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars. Dès lors que ce confinement va être progressivement levé et que l’activité va reprendre, ces dérogations ne pourront plus se fonder sur leurs justifications initiales. Aussi le Conseil d’État estime-t-il que la nécessité et la proportionnalité de ces dérogations doivent, de la part du Gouvernement, faire l’objet, dans les semaines qui viennent, d’un réexamen systématique et d’une appréciation au cas par cas.
Des garanties accordées aux salariés mis en quarantaine
L’article 6 de la loi, issu d’un amendement adopté en commission au Sénat, vise à renforcer les garanties en matière de droit du travail assurées aux personnes visées par des mesures de quarantaine, dont l’infection peut ne pas être effective mais simplement présumée. Comme indiqué ci-dessous, ce texte conduit à mieux protéger ces personnes que les personnes malades elles-mêmes.
Les dispositions qui suivent sont entrées en vigueur le 13 mai 2020, lendemain de la publication de la loi au JO, les dispositions de l’article 13 de la loi prévoyant son entrée en vigueur immédiate ayant été censurées par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 11-5-2020 no 2020-800 DC).
Protection contre la rupture du contrat de travail
L’article 6 de la loi ajoute tout d’abord un article L 1226-9-1 au Code du travail. Celui-ci rend applicables aux personnes mises en quarantaine, mentionnées à l’article L 3131-15, I-3° du Code de la santé publique, les dispositions des articles L 1226-7 à L 1226-9 du Code du travail relatifs à la suspension du contrat de travail et à la protection contre sa rupture en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
À noter : La mise en quarantaine, au sens de l’article L 3131-15, I-3° du Code de la santé publique (qui renvoie au règlement sanitaire international de 2005 de l’Organisation mondiale de la santé), signifie la mise à l’écart des personnes suspectes mais pas malades, tandis que le placement ou maintien en isolement concerne les personnes contaminées.
Selon l'article L 3131-15 du Code de la santé publique tel que modifié par cette loi de prorogation de l'état d'urgence sanitaire, les décisions administratives de mise en quarantaine ou d'isolement (prises par le préfet sur proposition du directeur de l'ARS) ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection, entrent sur le territoire national, en Corse ou encore dans l'une des collectivités territoriales d'outre-mer.
Neutralisation des périodes de quarantaine pour l’intéressement et la participation
Certains accords d’intéressement ou de participation prévoient un calcul des primes en fonction du temps de présence du salarié. Dans ce cas, les périodes de congé de maternité ou d’adoption et les arrêts de travail dus à un accident du travail ou à une maladie professionnelle sont assimilés à des périodes de présence (C. trav. art. L 3314-5 pour l’intéressement et art. L 3324-6 pour la participation).
L’article 6 de la loi étend ce régime aux périodes de mise en quarantaine mentionnées à l’article L 3131-15 du Code de la santé publique. Les articles L 3314-5 et L 3324-6 du Code du travail sont simplement complétés en ce sens. Le salarié placé en quarantaine en raison d’une suspicion de Covid-19 ne sera ainsi pas pénalisé par cette absence, pour le calcul de l’intéressement et de la participation.
Les salariés en quarantaine mieux protégés que les malades eux-mêmes ?
D’après l’exposé des motifs de l’amendement dont est issu l’article 6 de la loi, ce texte vise à « renforcer les garanties en matière de droit du travail pour les personnes visées par les mesures de quarantaine (…). Contrairement aux personnes effectivement atteintes, couvertes par les dispositions de droit commun relatives aux arrêts maladie, la mise en quarantaine d'une personne contact, préalable à l'établissement de son statut virologique, la place dans une situation de fragilité et d'ambiguïté à l'égard de son employeur pour la protection de son contrat de travail ou encore sa participation aux intéressements ».
À notre avis : Cet exposé pose problème selon nous. En effet, la protection contre la rupture du contrat de travail et l’assimilation à des temps de présence pour le calcul de l’intéressement et de la participation ne concernent actuellement que les arrêts de travail liés à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, et non les arrêts de maladie d’origine non professionnelle. Or, en l’état actuel des textes, il n’est pas prévu que les salariés atteints du Covid-19 soient systématiquement reconnus en accident du travail ou maladie professionnelle.
Ainsi, la mesure prévue accorderait une protection pour les personnes mises en quarantaine supérieure à celle en vigueur pour les salariés malades du Covid-19.
Par ailleurs, la loi ne prévoit pas les mêmes garanties pour les personnes placées ou maintenues à l’isolement au sens de l’article L 3131-15 du Code de la santé publique, c’est-à-dire des personnes effectivement affectées par le virus faisant l’objet d’une mesure administrative.
Pas d'atténuation de la responsabilité pénale des employeurs pendant la crise sanitaire
L'article 1, II de la loi complète les dispositions pénales prévues par le Code de la santé publique en cas de crise sanitaire grave en y insérant un nouvel article L 3136-2. Ce dernier précise que l’article 121-3 du Code pénal relatif à l'engagement de la responsabilité pénale est applicable « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont diposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur ».
Cette disposition a été soumise au Conseil constitutionnel par le Président de la République et par le président du Sénat au regard du principe d'égalité devant la loi pénale. Dans sa décision 2020-800 du 11 mai 2020, le Conseil l'a jugée conforme à la Constitution. Il estime que l'article L 3136-2 introduit dans le Code de la santé publique ne diffère pas des dispositions de droit commun définissant la faute pénale non intentionnelle.
En effet, l'article 121-3 du Code pénal prévoit qu'il y a délit non intentionnel « s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les dilgences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». L'ajout au Code de la santé publique se contente donc de reprendre ces conditions.
À noter : Pour rappel, le texte adopté par le Sénat prévoyait, sous réserve de certaines exceptions, que nul ne pouvait voir sa responsabilité pénale engagée du fait d’avoir, pendant l’état d’urgence sanitaire, soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus, soit causé ou contribué à causer une telle contamination. Ce dispositif visant à atténuer la responsabilité pénale des décideurs, notamment des employeurs, n'a pas été retenu par l'Assemblée nationale.
Ces dispositions sont entrées en vigueur le 13 mai 2020, lendemain de la publication de la loi au JO, les dispositions de l’article 13 de la loi prévoyant son entrée en vigueur immédiate ayant été censurées par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 11-5-2020 no 2020-800 DC).
Fanny DOUMAYROU et Valérie DUBOIS
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