Un homme décède, laissant pour lui succéder son épouse, son fils et sa fille. Cette dernière se voit réclamer par son frère et la tutrice de sa mère une indemnité au titre de son occupation privative d’un immeuble dépendant de l’indivision successorale (C. civ. art. 815-9, al. 2). Pour sa défense, l’occupante oppose le bail verbal dont elle est titulaire.
La cour d’appel estime néanmoins qu’une indemnité d’occupation est due à l’indivision pour le motif suivant : la valeur locative de l’immeuble, estimée à 1 200 € par mois, est nettement supérieure au montant du loyer acquitté en exécution du bail verbal, qui s’élève à 381,12 € par mois.
La Cour de cassation censure la décision des juges du fond. L’héritière occupait l’immeuble indivis en qualité de locataire, de sorte qu’elle ne portait pas atteinte aux droits égaux et concurrents des indivisaires (C. civ. art. 815-9, al.1 ).
À noter : L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité (C. civ. art. 815-9, al. 2). L’indemnité d’occupation n’est pas la compensation d’une perte éventuelle de revenus, mais le prix de la jouissance privative d’un bien « collectif » (Cass. 1e civ. 12-5-2010 n° 09-65.362 F-PBI : BPAT 4/10 inf. 236). En l’espèce, l’occupation du bien indivis par la fille n’était pas sans titre : un bail verbal lui avait été consenti par son père et, à son décès, ce bail s’est poursuivi au nom de l’indivision successorale. Sa jouissance privative ne portait donc pas atteinte aux droits égaux et concurrents des autres indivisaires (C. civ. art. 815-9, al. 1). Ainsi, quel que soit le montant du loyer, aucune indemnité ne pouvait être demandée au titre de l’article 815-9 du Code civil.
Les indivisaires pouvaient-ils solliciter la réévaluation du loyer ? Difficilement. En effet, dès lors qu’un bail est conclu oralement, les parties ne s'obligent qu'à ce qui est prévu par la loi (C. civ. art. 1713 s. ). Les clauses facultatives du contrat de bail ne se présument pas. Par exemple, les juges du fond ne peuvent accueillir une demande d’indexation du loyer sans constater, s’agissant d’un bail verbal, l’existence d’un accord d’indexation (Cass. 3e civ. 4-10-1995 n° 93-20.461 : Bull. civ. III n° 211). Autrement dit, faute d’accord entre les héritiers, toute réévaluation du loyer était exclue. Cette espèce illustre le danger qu’il y a à consentir un bail verbal à l’un de ses enfants. C’est bien souvent pour l’aider, mais cela peut avoir de lourdes conséquences lors de l’ouverture de la succession, vis-à-vis des autres héritiers.
Un dernier point mérite enfin d’être signalé. Dans son pourvoi, l’indivisaire locataire relevait que le seul moyen pour les autres indivisaires de « rattraper » l’écart entre la valeur locative du bien et le faible loyer versé eût été de prouver qu’il en résultait une donation indirecte. Pareille requalification aurait pu en effet donner lieu au rapport de la libéralité dans la masse partageable et rétablir ainsi l’égalité entre les héritiers (C. civ. art. 843, al. 1 ). Mais encore faut-il prouver l’intention libérale, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Dans l’affaire commentée, le fait que la mise à disposition du logement ait une contrepartie onéreuse (le loyer), même sous-évaluée, accroît la difficulté de cette preuve. Notons toutefois qu’une donation indirecte a pu résulter d'une vente, à prix non fictif très inférieur à la valeur du bien vendu (rapport de un à trois ou à cinq), consenti dans une intention libérale (CA Colmar 19-1-1990 Juris-Data no 051 203 ; CA Colmar 15-2-1991 Juris Data no 045 935). Une solution identique n’est donc pas à exclure en cas de bail à loyer très modique.
Florence GALL-KIESMANN
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Successions Libéralités n° 69457