Dans le cadre d’une procédure de délaissement, une société propriétaire de parcelles situées dans le périmètre d’une ZAC conteste le montant de l’indemnité de dépossession lui revenant. Elle fait valoir notamment que la cour d’appel n’a pas veillé au respect du principe de la contradiction entre les parties (CPC art. 16) « en acceptant de prendre en considération les termes de comparaison invoqués, mais non produits » par l’expropriant, « au motif qu'ils comportaient les références de publication ce qui permettait d'accéder aux actes pour connaître les caractéristiques ».
Échec. La Cour de cassation rappelle que pour fixer le montant de l’indemnité d’expropriation ou de délaissement, « le juge apprécie souverainement les termes de comparaison issus des actes de mutation sélectionnés sur lesquels chaque partie se fonde pour retenir l’évaluation qu’elle propose, dès lors que celles-ci ont été en mesure d’en débattre contradictoirement ». Le principe de la contradiction n’est pas méconnu par le juge qui fixe ce montant en se référant aux termes de comparaison invoqués par les parties dans leurs conclusions, même en l’absence de production des actes de vente dont ils sont issus, dès lors que ces éléments :
sont extraits de bases de données accessibles au public ;
comportent les informations énoncées à l’article R 112 A-1 du Livre des procédures fiscales ;
et sont accompagnés des références de publication permettant, le cas échéant, l’obtention des actes de mutation correspondants auprès du service de la publicité foncière.
A noter :
Pour l’évaluation des terrains expropriés ou délaissés, il est le plus souvent recouru à la méthode dite « par comparaison ». Dans ce cadre, les parties doivent produire des points de comparaison permettant d’apprécier la valeur du bien. Dans cette affaire, la société demandait que les termes de comparaison invoqués par l’expropriant dans ses conclusions soient écartés « au motif que les actes correspondants ne sont pas produits ». Plusieurs arrêts de la Cour de cassation exigeaient effectivement que soient produits les actes de vente dont étaient issus les termes de comparaison invoqués par les parties (Cass. 3e civ. 12-11-2015 n° 14-25.371 F-D ; Cass. 3e civ. 10-12-2015 n° 14-24.462 F-D : RDI 2016 p. 460). Or, comme le rappelle la dernière lettre de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, « l’évolution majeure qu’a connu l’accès des parties aux données sur les valeurs foncières a modifié les termes du débat » (Lettre de la troisième chambre civile n° 15 – octobre 2024). L'administration fiscale met en effet désormais gratuitement à disposition du public sous format électronique un certain nombre d’informations « relatives aux ventes, adjudications, expropriations et aux échanges de biens immobiliers publiés au fichier immobilier au cours des 5 dernières années » portant notamment sur la date et la nature de la mutation, le prix, l’adresse et les références cadastrales (LPF art. R 112 A-1 créé par décret 2018-1350 du 28-12-2018). Tirant les conséquences de cette évolution, la Cour de cassation n’exige plus que les parties produisent les actes de vente dont sont issus les termes de comparaison sous certaines conditions. Le juge doit s’assurer, pour respecter le principe du contradictoire, du respect de ces conditions : les termes de comparaison sont extraits d’une base de données accessible au public, comportent certaines informations requises par le Livre des procédures fiscales et sont accompagnés des références de publication. Comme le souligne la lettre de la troisième chambre civile, « imposer la production systématique de l’acte de mutation correspondant au terme de comparaison proposé par une partie ferait peser sur cette dernière une charge disproportionnée, dès lors que l’obtention d’un tel acte entraîne des frais, et requiert des diligences qui peuvent s’avérer complexes auprès des services de publicité foncière ».