Une personne, laissant pour lui succéder son frère et sa sœur, décède, peu après avoir été placée sous tutelle, et en l’état d’un testament mystique par lequel elle institue un tiers en qualité de légataire universel. Le testament a été rédigé environ une année avant le placement sous tutelle de la défunte. Le notaire auquel la défunte a personnellement remis le testament, en présence de deux témoins, a dressé un acte de suscription dans lequel il a mentionné que le testament mystique lui a été remis par « le testateur », qui a déclaré lui présenter son testament et affirmé en avoir personnellement vérifié le libellé par la lecture qu'« il » en avait effectuée. Les héritiers légaux de la testatrice contestent la validité de ce testament en faisant valoir qu’à la date de la remise du testament la testatrice souffrait d’une maladie dégénérative et qu’elle était dans l'incapacité de lire elle-même le texte dactylographié avec des caractères d’une taille normale. Les juges du fond retiennent la nullité du testament mystique, les certificats médicaux produits établissant effectivement l’incapacité de la testatrice de lire elle-même le document présenté et aucun élément intrinsèque ou extrinsèque, dont l'acte de suscription, ne venant les éclairer sur le procédé technique qui aurait permis à l'intéressée de lire le document qu'elle présentait comme son testament.
Le légataire universel se pourvoit en cassation en arguant de l’absence de caractérisation, par les juges du fond, de l'impossibilité absolue pour la testatrice de lire son testament et, partant, d’une inversion de la charge de la preuve. La Cour de cassation, après avoir rappelé, en forme de principe, les termes de l’article 978 du Code civil, suivant lequel ceux qui ne savent ou ne peuvent lire ne pourront faire de dispositions dans la forme mystique, rejette le pourvoi. Suivant la Cour de cassation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de caractériser l'impossibilité absolue de la testatrice de lire le document, en a déduit, en l'absence de certitude sur l'expression de ses dernières volontés, que l'acte devait être annulé.
A noter :
Comme le relève Annie Chamoulaud-Trapiers, professeure à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, la jurisprudence est rare en matière de testaments mystiques. L’arrêt rendu par la première chambre civile, et qui va être publié, est d’autant plus remarquable qu’il vient préciser de manière explicite la raison d’être de l’une des conditions de validité d’un tel testament : il faut que le testateur, même s’il n’a pas lui-même rédigé le texte de son testament, ait été en mesure de le lire lui-même. La solution ne peut qu’être approuvée. Elle est tout à la fois conforme à la lettre et à l’esprit de la loi. En effet, l’article 978 du Code civil prévoit explicitement que « ceux qui ne savent pas ou ne peuvent lire ne pourront faire de dispositions dans la forme du testament mystique ». Cette disposition se justifie par la faculté offerte au testateur de faire écrire son testament par un tiers (C. civ. art. 976, al. 2 et 977) : le testateur doit pouvoir en contrôler lui-même le contenu (M. Grimaldi : Droit civil : libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n° 1381). Lorsque le testament est rédigé par un tiers, déclaration doit en être faite par le testateur au notaire en présence des deux témoins « en affirmant, dans ce dernier cas, qu’il en a personnellement vérifié le libellé » (C. civ. art. 976, al. 2). L’acte de suscription relate que « le testateur » a affirmé avoir personnellement vérifié le libellé par la lecture qu'« il » en avait effectuée. La forme dactylographié, utilisée en l’espèce, est valide (C. civ. art. 976, al. 2 in fine). Le testament mystique peut être utilisé par une personne malvoyante dès lors que le document a été rédigé en braille, si ce langage est maîtrisé par l’intéressée, afin qu’elle puisse par elle-même vérifier les dispositions qu’elle présentera au notaire comme son testament. La raison d’être de l’article 978 du Code civil, qui interdit le recours à cette forme testamentaire pour ceux qui ne savent ou ne peuvent lire, est de s’assurer que les dispositions présentées constituent bien l’expression des dernières volontés de la défunte.
Cette forme testamentaire est peu utilisée. Il est vrai que son caractère hybride, se rattachant au testament olographe pour son contenu, qui est un acte sous seing privé qui n’a que la force probante du testament olographe, se rattachant au testament notarié pour les énonciations de l’acte de suscription, qui, lui, est un acte authentique, l’expose à une vulnérabilité accrue. Il faut de « sérieuses raisons pour y recourir » (M. Grimaldi, précité, n° 1383). S’agissant d’une personne malvoyante, il est sans doute à déconseiller, sauf à vouloir absolument garder secret le contenu de son testament…
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