Deux époux communs en biens titulaires d'un important patrimoine immobilier consentent sur une période d'une trentaine d'années plusieurs donations à leurs trois enfants, sous la forme de « donations-partages » vraisemblablement conjonctives, chacun des donataires recevant un tiers indivis de la nue-propriété de divers immeubles. Ces trois enfants constituent ensuite entre eux 16 sociétés civiles immobilières (SCI), une par immeuble, auxquelles ils font chacun apport de leur quote-part indivise en nue-propriété reçue par donation de leurs parents. Le montage patrimonial ne s'arrête pas là : les enfants, devenus ainsi titulaires en pleine propriété de parts sociales non nominatives restées indivises, consentent à leur tour des donations portant sur tout ou partie de la nue-propriété de ces parts à leurs enfants respectifs. Au décès du père, des dissensions vont naître tout à la fois entre les enfants et entre enfants et petits-enfants sur le partage de la succession paternelle pour les enfants et la gestion des sociétés civiles. Une demande en partage judiciaire de toutes les indivisions existant entre eux est alors formée par deux des enfants à l'encontre à la fois de leur sœur, de leurs neveux issus de cette sœur et de leurs propres enfants. Les juges du fond ordonnent le partage unique des indivisions subsistant entre les enfants sur certains biens et des indivisions sur les parts de SCI. Pour la cour d'appel, le sort des donations consenties par chacun des enfants sur les quotes-parts de société dépend en effet du sort du partage à intervenir entre les trois enfants fondateurs des SCI.
La Cour de cassation rappelle tout d'abord qu'une demande de partage judiciaire ne peut prospérer que si aucun partage amiable n'a déjà été réalisé, conformément à l'article 816 du Code civil. Le pourvoi reproche aux juges du fond de ne pas avoir examiné, comme il le leur était demandé, si un acte sous seing privé signé peu après le décès du père ne réalisait pas un partage amiable de la succession. L'arrêt d'appel est cassé de ce chef.
Beaucoup plus intéressant au regard des règles du partage est le moyen relevé d'office par la Cour de cassation : un partage unique des indivisions ne pouvait être ordonné, faute pour ces indivisions de ne comprendre que les mêmes personnes (C. civ. art. 840-1 a contrario). Or, pour chacune des indivisions de parts sociales, à la suite des donations consenties par les associés fondateurs, on comptait parmi les indivisaires, soit seulement les enfants (cessionnaires de toutes les quotes-parts détenues par leur père ou mère, associé fondateur), soit les enfants (lorsqu'ils n'avaient pas cédé toutes leurs quotes-parts de parts de ladite société) et les petits-enfants. Dès lors, toutes les indivisions n'existant pas entre les mêmes personnes, l'application de l'article 840-1 du Code civil se trouvait exclue.
A noter :
Comme l'observe Annie Chamoulaud-Trapiers, professeure à l'université de Limoges, la cour d'appel avait dans la présente affaire fait application du principe suivant lequel l'efficacité de la cession de droits indivis sur un bien est subordonnée au résultat du partage de l'indivision (Cass. 1e civ. 4-11-2020 n° 19-13.267 F-PB : BPAT 1/21 inf. 37, AJ fam. 2020 p. 675 obs. J. Casey, Defrénois 10-12-2020 n° 166v6 p. 10 obs. B. Vareille). De sorte qu'il est nécessaire qu'un partage de la succession ait lieu pour déterminer si les cédants peuvent céder avec leur plein effet leurs droits indivis sur ce bien. Cette solution, appliquée par la Cour de cassation dans l'hypothèse de cession de quote-part indivise sur un bien déterminé compris dans une masse indivise, est la conséquence de l'effet déclaratif du partage (C. civ. art. 883) : le partage final de l'indivision fixera définitivement l'assiette des droits du cédant sur le bien ; le cessionnaire ne peut donc devenir propriétaire de la quote-part acquise au jour de la cession, tout dépendra du partage. En l'espèce, les cessions réalisées par chacun des trois associés fondateurs ne portaient pas sur une quote-part de l'un des biens faisant partie de l'indivision, mais sur une quote-part de l'universalité d'une indivision. Chacun des petits-enfants cessionnaires de quotes-parts des parts sociales indivises avait donc acquis, dès la cession, la qualité d'indivisaire. L'effet déclaratif du partage est sans incidence sur une telle cession.
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