Un salarié notifie à l’employeur sa démission en raison de son prochain déménagement. L’employeur accuse réception de cette démission le 4 février et lui indique que son contrat prendra fin le 4 mars suivant, à l’issue d’un préavis d’un mois. Mais le 22 février, le salarié est victime d’un accident du travail.
L’employeur lui ayant transmis ses documents de fin de contrat de travail mi-mars, après la date à laquelle le préavis devait théoriquement prendre fin, le salarié a saisi le juge prud’homal d’une demande de nullité de cette rupture.
Une dérogation au caractère préfix du préavis
La période de préavis est un délai préfix qui ne peut pas être interrompu, ni suspendu, sauf convention contraire des parties (Cass. soc. 16-6-2004 n° 02-40.620 : RJS 10/04 n° 1034). Cela signifie que ce délai n’est pas susceptible de prolongation ou de suspension, sauf rares exceptions.
A noter :
Par exemple, sauf stipulation conventionnelle contraire, le terme du préavis n’est pas reporté même si le salarié tombe malade (Cass. soc. 28-6-1989 n° 86-42.931 P) ou participe à une grève (Cass. soc. 3-10-1968 n° 67-40.226 P).
La jurisprudence admet ainsi, par exception, que le contrat de travail est suspendu en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle pendant le préavis (Cass. soc. 18-7-1996 n° 93-43.581 PB ; Cass. soc. 15-2-2006 n° 04-42.822 F-PB). La Cour de cassation applique en effet l’article L 1226-7 du Code du travail, qui dispose que le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de son arrêt de travail.
C’est ce principe, manifestement perdu de vue par l’employeur, qu’applique ici la cour d’appel de Bordeaux.
A noter :
Les décisions de 1996 et de 2006 ont été rendues à propos de salariés ayant démissionné, mais le principe s’applique également en cas de licenciement. En revanche, le préavis conserve son caractère préfix en cas de départ volontaire à la retraite du salarié : un accident du travail ou une maladie professionnelle après la notification par le salarié de son intention de partir à la retraite n’a pas pour effet de reporter le terme du préavis (Cass. soc. 25-5-2016 n° 15-10.637 FS-PB).
En l’espèce, le salarié a été en arrêt de travail pendant plus de 10 mois, jusqu’au 25 janvier suivant. L’employeur aurait donc dû suspendre le préavis jusqu’à cette date, la démission ne pouvant pas être effective avant cette date.
A notre avis :
On ajoutera que, dans une telle hypothèse, l’employeur doit selon nous organiser la visite médicale de reprise à l’issue de l’arrêt de travail, faute de quoi le contrat de travail du salarié reste suspendu (Cass. soc. 10-11-1998 n° 96-43.811 P ; Cass. soc. 24-6-2020 n° 19-11.914 F-D). Si toutefois le médecin du travail déclarait le salarié inapte à son emploi au cours de cette visite, l’employeur ne serait pas tenu de lui chercher un emploi de reclassement ni d’engager une procédure de licenciement pour inaptitude, dans la mesure où le contrat de travail est déjà rompu par la démission (Cass. soc. 15-2-2006 n° 04-42.822 F-PB).
Quelles conséquences pour l’employeur ?
Pour les juges bordelais, en transmettant au salarié les documents de fin de contrat de travail (certificat de travail, reçu pour solde de tout compte et attestation d’assurance chômage) avant la fin de l’arrêt de travail, l’employeur a manifesté sa volonté de mettre fin au préavis de manière anticipée.
Or, lorsque le contrat de travail est suspendu en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le salarié est protégé. L’employeur ne peut en effet mettre fin au contrat de travail que s’il justifie d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la maladie ou l’accident (C. trav. art. L 1226-9). À défaut, la rupture est nulle et ouvre droit à réintégration ou indemnisation du salarié (C. trav. art. L 1226-13). L’employeur ne peut donc interrompre le préavis de manière anticipée que pour l’un de ces motifs.
Ici, la rupture du contrat de travail était déjà consommée par la démission, dont le caractère clair et non équivoque n’est pas remis en cause. Mais l’employeur ne pouvait pas mettre fin de manière anticipée au préavis. Cette rupture anticipée du préavis est donc annulée, et celui-ci est réputé avoir été exécuté jusqu’à son terme, reporté au 25 janvier de l’année suivante. L’employeur est donc condamné à verser au salarié, pour la période comprise entre la date de fin théorique de son préavis et le 25 janvier :
- une indemnité compensatrice de congés payés, au titre des congés acquis pendant cette période ;
- et le complément de salaire légal correspondant, compte tenu de son ancienneté, à 90 % de son salaire pendant les 30 premiers jours d’arrêt de travail, et à 66,66 % de ce salaire pendant les 30 jours suivants, sous déduction des indemnités journalières perçues de la caisse de sécurité sociale.
A noter :
La solution peut sembler sévère, mais elle s’explique par la protection spécifique accordée au salarié victime d’un accident du travail. Au cours du préavis, le salarié est toujours sous l'autorité de l'employeur et l'accident caractérise la réalisation du risque de l'entreprise. C’est ce qui explique que le caractère préfix du préavis soit ici écarté.
Documents et liens associés
CA Bordeaux 3-7-2024 n° 21/04167, F. c/ Sté Anett UN Aquitaine