Des époux communs en biens décèdent respectivement les 26 mai 2005 et 9 mai 2011, en laissant pour leur succéder leurs deux filles. Lors du règlement de la succession de la mère, une des filles demande le rapport du montant des fermages dus à la défunte par sa sœur entre le 1er janvier 1994 et le jour du décès de celle-ci, le 9 mai 2011. Elle obtient gain de cause, l’arrêt d’appel décidant que le montant des fermages devra être réintégré dans l’actif de la succession.
La sœur se pourvoit. Elle fait valoir que « seule une dette existante peut faire l’objet d’une libéralité ». Or, les juges du fond ayant constaté que les fermages échus entre 1994 et 2005 étaient prescrits, ils ont violé les dispositions relatives au rapport des libéralités et à la prescription (C. civ. art. 843 et 2277 dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008).
La Cour de cassation rejette le pourvoi. La cour d’appel a souverainement décidé que la renonciation de la mère à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 avait été faite dans une intention libérale. Elle s’est ainsi justement fondée sur le rapport des libéralités et non sur le rapport des dettes en retenant que la remise de ces fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n’étaient pas prescrits, et elle en a exactement déduit l’existence d’une libéralité rapportable.
A noter :
Selon Nicole Pétroni-Maudière, maître de conférences à l'université de Limoges, Creop, le rapport des libéralités a pour finalité de garantir, en valeur, l’égalité entre les héritiers dès lors que le de cujus, en leur consentant de son vivant des libéralités en avance sur leur part successorale, n’a pas voulu rompre celle-ci. La masse à partager entre les héritiers est ainsi composée des biens existant à l’ouverture de la succession du de cujus et dont celui-ci n’a pas disposé à cause de mort, des fruits desdits biens, des indemnités de rapport et, le cas échéant, des indemnités de réduction. Il faut y ajouter les dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision successorale (C. civ. art. 864 à 867). Le rapport de dettes des copartageants envers le défunt était autrefois malencontreusement traité par le Code civil dans le même texte que le rapport de donation : « Chaque cohéritier fait rapport à la masse […] des dons qui lui ont été faits, et des sommes dont il est débiteur » (C. civ. art. 829 ancien). Ce texte avait suscité des hésitations en jurisprudence entre l’assimilation (Cass. 1e civ. 18-1-1989 n° 87-11.331 : Bull. civ. I n° 35) et la distinction des deux rapports (Cass. 1e civ. 29-6-1994 n° 92-15.253 : Bull. civ. I n° 233). La distinction a finalement été consacrée par la loi du 23 juin 2006, qui a abrogé le texte et l’a remplacé par les articles 864 à 867, qui traitent des « dettes des copartageants ». L’appellation « rapport des dettes » continue néanmoins à être utilisée en pratique.
La différence majeure entre le rapport des libéralités et le rapport des dettes réside dans leur nature même. Alors que le rapport des donations est une opération préalable au partage, le rapport des dettes est une opération de partage en ce sens qu’il est constitutif d’une règle d’attribution : lorsque la masse à partager comprend une créance sur l’un des héritiers, c’est à celui-ci qu’elle doit être attribuée. Il constitue ainsi un mode de paiement simplifié.
Une autre différence est l’évaluation de la somme à restituer. Le rapport des dons manuels obéit au système de la dette de valeur lorsque la somme d’argent a servi à acquérir un bien, et correspond dès lors à la valeur au jour du partage dudit bien, dans son état à l’époque de la donation (C. civ. art. 860-1 par renvoi à l’art. 860, al. 1). Le rapport de dette de somme d’argent est, lui, soumis au principe du nominalisme monétaire (Cass. 1e civ. 4-6-2007 n° 05-15.253 : montant du rapport égal au nominal de la somme prêtée). Ainsi, s’il s’agit d’une dette résultant d’un prêt consenti par le de cujus à son héritier, celui-ci rapportera son montant nominal quand bien même il aurait acquis un bien au moyen du capital emprunté. C’est donc seulement en cas de donation de somme d’argent non employée que le montant du rapport est le même que celui de la dette : le rapport d’une donation de somme d’argent est égal à son montant (C. civ. art. 860-1).
Des rapprochements entre les deux institutions sont cependant indéniables. Comme le rapport des donations, le rapport/paiement des dettes permet de rétablir l’égalité entre les cohéritiers. Ces dettes constituent des créances de la succession envers cet héritier copartageant. Elles ne sont pas exigibles avant la clôture des opérations de partage (C. civ. art. 865). La preuve de leur existence incombe à celui qui invoque leur rapport et peut être établie par tous moyens. Par ailleurs, le rapport de dette s’exécute comme le rapport de donation, en moins prenant par imputation. La dette est mise dans le lot de l’héritier débiteur. Elle s’éteint alors par confusion des qualités de créancier et de débiteur de la succession. Si le montant de la dette excède la part successorale du débiteur, celui-ci doit payer le solde de sa dette.
Une double difficulté peut se présenter dans le cas courant de dette due par un cohéritier au défunt : c’est tout d’abord celle d’une éventuelle remise de dette consentie par le de cujus créancier, pouvant s’analyser en une libéralité indirecte au profit de son héritier. C’est ensuite celle de la prescription de la dette, lorsque, par hypothèse, le de cujus n’a pas réclamé son paiement de son vivant, la laissant ainsi s’éteindre.
C’était précisément le cas en l’espèce. Il ne fallait donc pas commettre d’erreur sur le fondement du rapport exigé : les dettes étant prescrites au jour de l’ouverture de la succession de la mère, il ne pouvait pas être question d’un rapport de dette. Seul le rapport de la donation indirecte, au titre de la remise de dette, consentie par la créancière avant la prescription de celle-ci, pouvait fonder la réintégration des sommes dues dans la succession… pour leur valeur au nominal plus les intérêts au taux légal dus à compter du décès (C. civ. art. 866).
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