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Régime matrimonial : l'industrie personnelle d'un époux détermine la créance de participation

Dans la participation aux acquêts, un bien qui a été amélioré grâce à l’industrie personnelle d’un époux, en l’espèce une officine, doit être estimé dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées.

Cass. 1e civ. 13-12-2023 n° 21-25.554 FS-B


Par Gulsen YILDIRIM, professeur à l'Université de Limoges, directrice exécutive du Creop (UR 15561)
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©GettyImages

Des époux, mariés sous le régime de la participation aux acquêts, divorcent. Une difficulté portant sur l’évaluation de l’officine de pharmacie améliorée grâce à l’industrie personnelle de l’épouse propriétaire apparaît lors de la liquidation de la créance de participation.

La cour d’appel considère que la valeur de l’officine de pharmacie est identique dans le patrimoine originaire et dans le patrimoine final. Les plus-values résultant de l’industrie personnelle d’un époux ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de la créance de participation, comme dans le régime de communauté où celles-ci ne donnent pas lieu à récompense.

La décision est cassée au visa des articles 1569, 1571 et 1574 du Code civil.

Les biens compris dans le patrimoine originaire comme dans le patrimoine final sont estimés à la date de la liquidation du régime matrimonial :

  • d’après leur état au jour du mariage ou de l’acquisition pour les biens originaires ;

  • d’après leur état à la date de la dissolution du régime pour les biens existants à cette date.

Il en résulte que, lorsque l’état d’un bien a été amélioré, fût-ce par l’industrie personnelle d'un époux, il doit être estimé, dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l’époux propriétaire.

A noter :

Gulsen Yildirim, professeure à l'université de droit de Limoges, nous livre son analyse. Pour motiver sa décision, la Haute Juridiction revient à l’essence même du régime de participation aux acquêts. Elle rappelle que, pendant la durée du mariage, le régime de participation aux acquêts fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens (C. civ. art. 1569). À la dissolution, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final. L’esprit est donc participatif car la créance due par l’un à l’autre époux résulte de simples opérations comptables. Contrairement au régime de communauté, l’objectif n’est pas de reconstituer une masse de biens qui a vocation à être partagée.

C’est certainement cette double évaluation qui constitue le point le plus complexe et le plus rebutant du calcul de la créance de participation. D’un côté, les biens du patrimoine originaire sont estimés d’après leur état au jour du mariage ou de leur entrée dans le patrimoine de l’époux d’après leur valeur au jour de la liquidation (C. civ. art. 1571). De l’autre, le principe est que les biens existants qui constituent le patrimoine final sont évalués selon leur état au jour de la dissolution du régime et selon leur valeur au jour de la liquidation (C. civ. art. 1574). On constate que tous les biens sont évalués à la même date : celle de la liquidation mais cette unité ne se retrouve pas pour l’état du bien. Dans le premier patrimoine, seul l’état initial est pris en considération ; dans le second, son état au jour de la dissolution. Par conséquent, un bien dont l’époux était propriétaire au jour du mariage ou reçu à titre gratuit et qui se retrouve à la dissolution fera l’objet d’une double évaluation mais sur la base d’un état qui aura probablement changé.

Dans notre affaire, l’officine de pharmacie qui appartenait à l’épouse lors du mariage avait été améliorée durant l’union grâce à l’industrie personnelle de celle-ci. Sur ce point, la cour d’appel estime que la valeur de l’officine est identique dans le patrimoine originaire et le patrimoine final selon une curieuse distinction : pour elle, seules les plus-values volontaires consécutives à des investissements financiers effectués pendant le mariage, par opposition à celles résultant de l’activité déployée, sont considérées comme des acquêts. Pour justifier cette exclusion, elle raisonne par analogie avec le régime de communauté dans lequel la jurisprudence rejette tout droit à récompense en contrepartie de l’industrie personnelle déployée par un époux sur un propre (notamment Cass. 1e civ. 26-10-2011 n° 10-23.994 F-PBI : BPAT 6/11 inf. 335 ; Cass. 1e civ. 29-5-2013 n° 11-25.444 FS-PB : Sol. Not. 8-9/13 inf. 203, pour l’activité d’un époux ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à son conjoint).

En matière de participation aux acquêts, seule compte l’évolution de l’état du bien. Il ne fait aucun doute que celui de l’officine a été modifié dès lors qu’elle a été améliorée durant le régime, peu importe d’ailleurs que ce soit par l’entremise d’un investissement financier ou d’une activité déployée par l’épouse. C’est pourquoi elle doit être estimée dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l’épouse propriétaire.

Pour la Cour de cassation, le fait de rappeler que, pendant le régime, la participation aux acquêts fonctionne comme une séparation de biens n’est pas sans importance. En effet, dans ce régime, la plus-value générée grâce à la collaboration professionnelle à un bien personnel du conjoint donne naissance à une créance entre époux (Cass. 1e civ. 12-12-2007 no 06-15.547 F-PB : BPAT 1/08 inf. 6 ; Cass. 1e civ. 23-2-2011 n° 09-70.745 FS-PBI : BPAT 2/11 inf. 103 pour un cabinet d’architecture amélioré grâce à l’investissement de l’épouse). La plus-value issue de l’industrie personnelle d’un époux a donc une expression pécuniaire. Appliquée à la participation, elle constitue un acquêt, c’est-à-dire un enrichissement à évaluer dès lors qu’elle a été déployée durant le régime.

On comprend aisément les enjeux financiers pour l’épouse car la prise en compte de la plus-value risque inévitablement de gonfler ses acquêts nets et, par voie de conséquence, le montant de la créance qu’elle peut devoir à son mari. L’insertion d’une clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation n’aurait été d’aucun secours pour elle. Qualifiée d’avantage matrimonial produisant ses effets lors de la liquidation du régime, elle aurait été révoquée de plein droit à l’occasion du divorce (en ce sens, Cass. 1e civ. 18-12-2019 n° 18-26.337 FS-PBI : BPAT 2/20 inf. 53).

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