La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a sensiblement et, semble-t-il, durablement bouleversé les relations de travail. Nombre de salariés, souvent issus de grandes villes, ont ainsi décidé de déménager en vue de s’offrir un cadre de vie plus agréable et moins coûteux, s’éloignant par conséquent de leur lieu de travail. Ce qui n’est pas sans poser la question relative au remboursement des frais de transport entre leur nouvelle résidence et leur lieu de travail.
En effet, les articles L 3261-2 et R 3261-1 du Code du travail prévoient que l’employeur doit prendre en charge 50 % du coût des titres d’abonnement souscrits pas ses salariés pour les déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélo.
Or, en l’espèce, des salariés d’une unité économique et sociale (UES) s’étaient vu refuser le remboursement de leurs frais de transport domicile-lieu de travail à la suite de la mise à jour des modalités internes de remboursement de ces frais. Ainsi, un critère d’éloignement géographique entre la résidence habituelle et le lieu de travail avait été créé : pour obtenir le remboursement de ces frais, les salariés dont la résidence habituelle ne se situait pas en Île-de-France, contrairement au lieu de travail, devaient justifier d’une durée de transport Paris-province inférieure à 4 heures par jour aller-retour, afin d’être réalisable dans la journée. Par ailleurs, un usage au sein de l’UES prévoyait une prise en charge par l’employeur à hauteur de 60 % du coût des titres de transport.
Le comité social et économique (CSE) de l’UES avait saisi le tribunal judiciaire de Paris afin de voir abandonner le critère d’éloignement géographique et d’obtenir le respect de l’obligation de remboursement du coût des abonnements aux transports publics souscrits pour les trajets résidence habituelle-lieu de travail sans distinction entre les salariés.
A noter :
La jurisprudence définit la résidence habituelle comme le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts (Cass. 1e civ. 14-12-2005 n° 05-10.951 FS-PBRI ; Cass. soc. 12-11-2020 n° 19-14.818 F-D).
Le refus de l’employeur de rembourser les frais de transport de certains salariés est injustifié
L’employeur faisait valoir que dans le contexte de développement du télétravail, faisant suite à l’épidémie de Covid-19, il avait constaté une augmentation du nombre de salariés fixant leur résidence en province par convenance personnelle alors que leur lieu de travail se situait à Paris. Il avait alors été décidé de fixer un critère d’éloignement géographique conditionnant le remboursement des frais de transport au sein de l’UES.
L’employeur faisait valoir plusieurs arguments pour justifier la mise en place de ce critère :
l’accord de télétravail ne prévoyait aucune régularité du télétravail ni de jours fixes de télétravail et permettait ainsi au manager de demander à ses équipes de venir sur site quand nécessaire ;
l’obligation de remboursement des frais de transport domicile-lieu de travail avait été créée région par région sans envisager les déplacements interrégionaux ;
le critère de convenance personnelle est pris en compte pour l’appréciation de l’exonération de charges sociales de la part supérieure à 50 % pris en charge de manière facultative par l’employeur (BOSS-FP-770) ;
il n’était pas favorable au remboursement des déplacements des salariés qui ont décidé par convenance personnelle de s’installer loin de Paris et de bénéficier d’un coût de la vie inférieur à celui de l’Île-de-France.
Le CSE de l’UES faisait quant à lui valoir que la mise en place du critère d’éloignement géographique instaurait une différence de traitement injustifiée entre les salariés et que cela portait en outre atteinte de manière illégitime à la liberté du salarié d’établir son domicile au lieu de son choix.
Le tribunal judiciaire écarte tout d’abord les arguments de l’employeur :
l’organisation du télétravail n’a aucune incidence sur le lieu de résidence habituelle au sens de la prise en charge des frais de transport. L’accord collectif sur le télétravail ne faisait en effet pas mention d’une quelconque condition, et le tribunal relève que cette condition se heurterait dans tous les cas à la liberté des salariés de fixer leur domicile au lieu de leur choix en application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ;
le Code du travail fait uniquement référence à la prise en charge des frais de transport pour les déplacements entre la résidence habituelle et le lieu de travail, sans référence à un déplacement au sein d’une même région ni à une exclusion des déplacements effectués entre deux régions distinctes ;
les règles applicables en matière d’exonération de charges sociales et les règles du Code du travail sont différentes en ce qui concerne le remboursement des frais de transport. Le BOSS précise par ailleurs que tous les salariés bénéficient de la prise en charge obligatoire des frais de transport domicile-lieu de travail, quels que soient leur lieu de résidence et leur lieu d’emploi : « cette obligation étant de portée générale, les salariés dont l’éloignement de la résidence habituelle du lieu de travail relève de la convenance personnelle doivent bénéficier de la prise en charge obligatoire » (BOSS-FP-530) ;
il n’est pas possible de soutenir que les salariés de l’entreprise ne se trouvaient pas dans une situation identique pour ce qui concerne le remboursement de frais de transport au motif de la disparité du coût de la vie entre l’Île-de-France et la province, qui ne saurait constituer une raison objective et pertinente vis-à-vis de l’avantage considéré.
L’indifférence du choix du lieu de la résidence habituelle du salarié est réaffirmée
Le tribunal judiciaire en conclut que l’employeur a méconnu ses obligations légales en matière de remboursement des frais de transport en instaurant un critère d’éloignement géographique. Ce faisant, il a créé une différence de traitement injustifiée en privant une partie des salariés de ces remboursements de frais. L’employeur ne peut créer des conditions supra légales pour supprimer un avantage en nature au profit des salariés.
Le tribunal judiciaire a par conséquent condamné l’employeur à respecter l’obligation de remboursement des frais de transport conformément au Code du travail et à l’usage interne (remboursement à hauteur de 60 %) sans distinction en raison de l’éloignement de la résidence habituelle des salariés.
A noter :
Il s’agit d’une confirmation de jurisprudence, la Cour de cassation ayant déjà jugé que l’obligation de prise en charge des frais de déplacement entre la résidence habituelle des salariés et leur lieu de travail devait s’appliquer sans distinguer selon la situation géographique de cette résidence (Cass. soc. 12-12-2012 n° 11-25.089 FS-PB).
La question de la définition de la résidence habituelle est cruciale. Ainsi, un salarié résidant en semaine dans la ville où il travaille ne peut pas prétendre à la prise en charge des trajets qu'il effectue les week-ends et lors de ses congés pour rejoindre celle où vit sa famille (Cass. soc. 22-6-2016 n° 15-15.986 FS-PB). À l’inverse, un salarié n'ayant pas de double résidence, mais qui travaille la semaine en région parisienne et dispose d'une résidence habituelle en province peut demander un remboursement de ses frais d'abonnement à un service de transport en commun au titre des trajets réalisés le week-end ou pour ses congés entre son lieu de travail et sa résidence, qui constitue sa seule résidence habituelle (Cass. soc. 12-11-2020 n° 19-14.818 F-D ; BOSS-FP-780).
Enfin, toute personne dispose de la liberté de choisir son domicile et nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Ainsi, l’employeur ne peut pas en principe imposer à ses salariés le lieu de leur domicile (Cass. soc. 13-4-2005 n° 03-42.965 FS-PB ; Cass. 1e civ. 7-2-2006 n° 05-12.113 F-PB ; Cass. soc. 28-2-2012 n° 10-18.308 FS-PB). Toutefois, la cour d’appel de Versailles a récemment jugé que, compte tenu de son obligation de sécurité, l'employeur peut, sans porter une atteinte excessive au libre choix du domicile d'un salarié, lui notifier son désaccord quant à son déménagement à 450 km du lieu de travail (CA Versailles 10-3-2022 n° 20/02208).
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