L’employeur doit reprendre le versement du salaire un mois après la visite médicale de reprise…
Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail (C. trav. art. L 1226-4 en cas de maladie et d'accident non professionnels ; C. trav. art. L 1226-11 en cas de maladie et d'accident professionnels).
Dans deux arrêts rendus le 10 janvier 2024, la Cour de cassation rappelle que cette obligation légale s’impose quasi systématiquement à l’employeur à défaut de reclassement ou de licenciement au bout d’un mois.
A noter :
On rappellera que l'obligation de reprendre le versement du salaire a pour objet d'éviter qu'un employeur n'ayant pas reclassé un salarié inapte adopte une attitude attentiste en ne prenant pas l'initiative de la rupture du contrat de travail. La Cour de cassation veille strictement au respect de cette obligation et sanctionne les comportements visant à la contourner (Cass. soc. 11-7-2000 n° 98-45.471 FS-P ; Cass. soc. 20-9-2006 n° 05-42.930 FS-PB).
… même s’il a contesté l’avis d’inaptitude du médecin du travail devant le conseil de prud’hommes…
Dans la première affaire (arrêt n° 22-13.464 FS-B), un salarié en arrêt maladie est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, qui estime que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L’employeur exerce un recours contre cet avis devant le conseil de prud’hommes. À cette occasion, le salarié sollicite le paiement des salaires qu’il aurait dû lui verser depuis le 2 août 2020, soit un mois après sa déclaration d’inaptitude.
Le conseil de prud’hommes, après avoir sollicité l’expertise du médecin inspecteur du travail, confirme l’avis d’inaptitude et condamne l’employeur au versement des salaires réclamés par le salarié. L’employeur interjette appel de cette décision en s’appuyant sur l’état de la modification de la procédure de contestation des avis médicaux, qui impose la saisine de la juridiction prud’homale par application de l’article L 4624-7 du Code du travail. Selon lui, en effet, le délai de reprise de paiement du salaire prévu par l’article L 1226-4 du même Code ne peut courir qu’à compter de l’acquisition d’une décision définitive relative à la constatation de l’inaptitude ou, à tout le moins, à compter de la décision du juge prud’homal se substituant à l’avis du médecin du travail.
A noter :
La procédure de recours contre les décisions du médecin du travail a, en effet, été profondément remaniée par la loi 2016-1088 du 8 août 2016, dite « loi Travail », puis par l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017. Ces recours, auparavant confiés à l'inspecteur du travail, relèvent, depuis le 1er janvier 2017, de la compétence du juge prud'homal en la forme des référés et sont soumis à des délais plus restreints.
La Cour de cassation, saisie du litige, confirme la décision des juges du fond. Tout d’abord, elle rappelle que les dispositions de l’article L 1226-4 du Code du travail relatives à la reprise du versement du salaire s’appliquent également en cas d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise constatée par le médecin du travail (Cass. soc. 1-3-2023 n° 21-19.956 F-B). Ensuite, elle juge que l’exercice du recours prévu à l’article L 4624-7 du Code du travail ne suspend pas le délai d’un mois imparti à l’employeur pour reprendre le versement du salaire.
A noter :
La solution retenue ici n’est pas nouvelle. La Haute Juridiction fait simplement application, sous l’empire des nouveaux textes, de celle qu’elle avait déjà adoptée dans de précédentes décisions rendues dans le cadre de la procédure de recours en vigueur avant le 1er janvier 2017 (Cass. soc. 4-5-1999 n° 98-40.959 P ; Cass. soc. 28-1-2004 n° 01-46.913 F-P).
Dès lors, la cour d’appel, qui a relevé que la réforme de la contestation des avis d’inaptitude n’avait pas modifié l’article L 1226-4 du Code du travail et n’avait eu aucun effet sur son application, n’a pu qu’en déduire que la contestation de l’avis d’inaptitude par l’employeur ne le libérait pas de son obligation. Elle ne pouvait donc que le condamner à reprendre le versement du salaire à compter du 2 août 2020.
… ou est présumé avoir respecté son obligation de reclassement au sens du Code du travail
Dans la deuxième affaire (arrêt n° 21-20.229 FS-B), la Cour de cassation se prononce, pour la première fois à notre connaissance, sur l’incidence de la présomption de bonne exécution de l’obligation de reclassement, insérée dans le Code du travail par la loi du 8 août 2016, sur l’obligation de reprise de versement du salaire à l’issue du délai d’un mois suivant la visite médicale de reprise.
En effet, lorsqu'un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur ses capacités à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise (C. trav. art. L 1226-2 en cas de maladie et d’accident non professionnels ; C. trav. art. L 1226-10 en cas en cas de maladie et d'accident professionnels). Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, l'obligation de reclassement de l'employeur est réputée satisfaite lorsqu'il a proposé au salarié un emploi dans les conditions visées ci-dessus, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail (C. trav. art. L 1226-2-1 en cas de maladie et d’accident non professionnels ; C. trav. art. L 1226-12 en cas de maladie et d'accident professionnels).
En l’espèce, un agent de sécurité en arrêt de travail est déclaré inapte à son poste par le médecin du travail le 5 février 2020. Ce dernier précise sur son avis qu’il peut occuper un poste similaire, mais sur un autre site, sans travail de nuit. Tenant compte de ces préconisations, l’employeur lui adresse, 5 jours plus tard, une proposition écrite de reclassement dans un emploi d’agent de sécurité sur un autre site en journée. Le salarié refuse et, estimant que son employeur aurait dû reprendre le versement de son salaire un mois après sa visite médicale de reprise, il saisit la formation de référé de la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de salaire à compter du 5 mars 2020, avant d’être licencié.
Pour le débouter de sa demande, la cour d’appel retient que, l’employeur lui ayant adressé une proposition écrite de reclassement dans le strict respect des préconisations du médecin du travail, il a pleinement respecté les conditions posées par l’article L 1226-2 du Code du travail en vue de son reclassement. Dès lors, son obligation afférente peut être considérée comme réputée satisfaite au sens de l’article L 1226-2-1 du même Code. Elle en déduit qu’il n’a pas l’obligation de reprendre le versement du salaire, l’article L 1226-4 du Code du travail ne s’appliquant pas.
Le salarié se pourvoit en cassation, considérant à l’inverse que l’obligation de reprise du versement du salaire s’impose y compris en cas de refus d’une proposition de reclassement par le salarié et quand bien même ce refus serait injustifié.
La Cour de cassation censure la décision des juges du fond. La circonstance que l'employeur est présumé avoir respecté son obligation de reclassement en proposant au salarié déclaré inapte un emploi prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail ne le dispense pas de reprendre le versement du salaire. Ainsi, le salarié qui a refusé cette proposition de reclassement et qui n'a pas été reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise ou qui n'a pas été licencié a droit au salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension du contrat de travail.
Dès lors, même si l’employeur était présumé avoir satisfait à son obligation de reclassement, la cour d’appel aurait dû le condamner à reprendre le versement du salaire à compter du 5 mars 2020, son salarié n’étant alors ni reclassé ni licencié.
A noter :
Cette solution s’inscrit dans la continuité de précédentes décisions rendues par la Cour de cassation, alors que la présomption de bonne exécution de l’obligation de reclassement visée ci-dessus ne figurait pas encore dans le Code du travail. La Haute Juridiction a en effet jugé, dans une affaire où un salarié avait été déclaré inapte à la suite d’un accident du travail, que le refus abusif du salarié des propositions de reclassement de son employeur lui fait seulement perdre le droit aux indemnités spécifiques de rupture du contrat de travail prévues par le Code du travail. En revanche, il ne dispense pas l’employeur de reprendre le versement du salaire au salarié qui n'a été ni reclassé ni licencié à l’issue du délai d’un mois à compter de la visite médicale de reprise (Cass. soc. 7-12-1999 n° 97-43.775 PB). Elle a également retenu cette dernière solution dans une affaire où un salarié déclaré inapte, à la suite, cette fois, d’une maladie non professionnelle, avait refusé le poste de reclassement proposé par son employeur (Cass. soc. 18-4-2000 n° 98.40.314 PB). On relèvera par ailleurs que l’arrêt du 10 janvier 2024 a été rendu sur le fondement des articles L 1226-2, L 1226-2-1 et L 1226-4 du Code du travail applicables en cas d'inaptitude d'origine non professionnelle. La solution retenue vaut également, selon nous, en cas d'inaptitude consécutive à une maladie professionnelle ou à un accident du travail, eu égard à la rédaction identique des articles L 1226-10, L 1226-11 et L 1226-12 du Code du travail.
Documents et liens associés
Cass. soc. 10-1-2024 n° 22-13.464 FS-B, Sté d’exploitation des établissements T. c/ X. ; Cass. soc. 10-1-2024 n° 21-20.229 FS-B, K. c/ Sté S3M sécurité
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