Un salarié, technicien de maintenance, dont l’activité consiste à réaliser de petits dépannages dans la région de Normandie avec un véhicule de service, réclame le paiement d’heures supplémentaires pour les temps de trajets entre son domicile et ses premier et dernier clients.
La cour d’appel rejette sa demande. Pour elle, ce temps de déplacement professionnel ne constitue pas un temps de travail effectif car le salarié bénéficie d’une certaine autonomie dans l’organisation de son travail, de sorte qu’il ne se trouve pas à la disposition permanente de l’employeur. Les juges du fond prennent en compte plusieurs éléments :
le planning prévisionnel des opérations de maintenance est organisé entre le salarié et son responsable 3 à 4 semaines à l’avance ;
le salarié est informé par téléphone pour vérifier sa disponibilité pour les opérations de maintenance curatives.
Le salarié se pourvoit en cassation, soutenant que ses temps de déplacement domicile-clients correspondent à du temps de travail effectif.
Les déplacements domicile-travail sont du temps de travail effectif s’ils remplissent les critères
En droit français, le temps de travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles en application de l’article L 3121-1 du Code du travail. Ce texte s’oppose à l’article L 3121-4 du Code du travail, lequel prévoit que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif ; que toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu de travail, il fait l’objet d’une contrepartie sous forme de repos ou financière.
De son côté, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), interprétant l’article 2, point 1 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, considère que, lorsque les travailleurs n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de déplacement de ces travailleurs entre leur domicile et les sites des premier et dernier clients désignés par l’employeur constitue du temps de travail (CJUE 10-9-2015 aff. 266/14). Par ailleurs, elle indique que les notions de « temps de travail » et de « temps de repos » constituent des notions de droit de l'Union qu'il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de la directive 2003/88/CE (CJCE 9-9-2003 aff. 151/02, Jaeger, points 58 et 59 ; CJUE 9-3-2021 aff. 344/19, D.J. c/ Radiotelevizija Slovenija, points 30 et 31).
Afin de concilier le droit interne et le droit de l’Union, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’il résulte des articles L 3121-1 et L 3121-4 du Code du travail, interprétés à la lumière de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, que lorsque les temps de déplacement accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif, telle qu'elle est fixée par l'article L 3121-1 du Code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L 3121-4 du même Code (Cass. soc. 23-11-2022 n° 20-21.924 FP-BR).
L’utilisation d’un véhicule de service et le transport de pièces détachées sont des indices
Dans la présente affaire, la chambre sociale applique à nouveau ce principe et casse la décision des juges du fond. Pour la Cour de cassation, pour relever de l’article L 3121-4 du Code du travail, le temps de déplacement domicile-clients du salarié itinérant ne doit pas répondre à la définition du temps de travail effectif fixée par l’article L 3121-1 du Code du travail. Tel n’est pas le cas lorsque le salarié est soumis à un planning prévisionnel pour les opérations de maintenance et que, pour effectuer ces opérations, il utilise un véhicule de service et est amené à transporter des pièces détachées commandées par les clients.
A noter :
Il ressort du présent arrêt que les temps de déplacement en cause, constituant du temps de travail effectif, doivent être rémunérés comme tel, et non pas ouvrir droit à la simple compensation financière prévue par l’article L 3121-4.
Cette solution n’est pas sans rappeler un autre arrêt du 3 juin 2020 de la chambre sociale dans lequel la Cour, dans un moyen relevé d’office et au visa de l’article L 3121-1 du Code du travail, a qualifié de temps de travail effectif le temps de trajet d’un salarié entre les locaux du client de son employeur et son domicile dès lors qu’il était contraint d’utiliser un véhicule de l’entreprise, ce dernier contenant parfois des colis appartenant à ce client (Cass. soc. 3-6-2020 n° 18-16.920 F-D). Ainsi, l’utilisation par le salarié itinérant d’un véhicule de service et le transport de matériels appartenant à l’employeur ou pour son compte pendant ses temps de trajet domicile-clients constituent des éléments permettant de qualifier ces déplacements de temps de travail effectif.
Documents et liens associés
Cass. soc. 1-3-2023 n° 21-12.068 F-B, Sté Tokheim services France c/ P.