Justice
Avis critique de la Défenseure des droits sur la proposition de loi Mineurs délinquants
La Défenseure des droits a été appelée à émettre un avis sur la proposition de loi n° 448 déposée le 15 octobre dernier à l’Assemblée nationale, visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents. Elle relève deux problématiques importantes : la responsabilité des détenteurs de l’autorité parentale et le traitement pénal des mineurs.
Sur le premier point, Claire Hédon considère que la création d’une circonstance aggravante lorsque la soustraction du parent à ses obligations a directement conduit le mineur à la commission de plusieurs crimes ou délits ayant donné lieu à une condamnation définitive est contraire au principe à valeur constitutionnelle de responsabilité pénale personnelle. L’amende civile envisagée à l’égard du parent qui ne défèrerait pas aux convocations aux audiences et auditions en matière d’assistance éducative lui semble inefficace pour motiver l’investissement personnel du parent. La Défenseure des droits rappelle que l’autorité de la justice à l’égard des mineurs doit passer par les moyens offerts aux magistrats et structures de protection de l’enfance pour remplir efficacement leurs missions et constate que la proposition de loi ne répond pas aux difficultés structurelles existantes.
Sur le second point, l’instauration d’une procédure de comparution immédiate pour les mineurs va à l’encontre des principes en matière de justice pénale des mineurs (PFRLR), notamment en ce que qu’il doit y avoir des garanties procédurales spécifiques et protectrices pour tenir compte de la vulnérabilité particulière du mineur, qui ne peut être assimilé à un majeur. L’exclusion du principe d’atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs de plus de 16 ans lorsqu’ils ont commis certains crimes et délits en récidive légale est contraire, outre à ce principe à valeur constitutionnelle, aux engagements internationaux (CIDE).
Le texte sera discuté en séance publique à l’Assemblée nationale le 2 décembre. (Défenseur des droits, Avis n° 24-07 du 21-11-2024)
Droit pénal spécial
Traite d'être humain : preuve de la rémunération relativement à la seule victime
Au vu de l'article 225-4-1 du code pénal dans sa version issue de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013, et des travaux préparatoires de cette dernière, la traite d'être humain peut être caractérisée par le fait de recruter, transporter, héberger une personne ou de l'accueillir à des fins d'exploitation, en échange ou par l'octroi ou la promesse d'une rémunération à celle-ci, sans qu'il soit besoin de constater que l'auteur a agi ainsi en échange d'une rémunération ou de la promesse d'une rémunération. (Crim. 26-11-2024, n° 23-85.798, F-B)
Fraude aux prestations sociales : contrôle rigoureux de la Cour de cassation
Au sens de l’article 441-6, alinéa 2, du code pénal, est réprimé le fait de fournir sciemment une déclaration fausse ou incomplète en vue d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un organisme de protection sociale une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu.
Ladite déclaration ne peut être simplement caractérisée par l'omission de signaler un changement dans ses conditions de vie. Les juges ne peuvent pas davantage se contenter de relever que l'existence d'une vie commune confère un caractère indu à la plupart des prestations et aides perçues par chacun des prévenus, sans déterminer précisément celles dont le bénéfice procède de la fraude ainsi caractérisée. Par ailleurs, l'intention de chacun des intéressés d'obtenir un avantage indu doit également être spécifiée, les juges ne pouvant notamment s’abstenir de répondre aux conclusions présentées par les prévenus qui font valoir qu'ils ont agi sans intention frauduleuse dans la mesure où leur nouvelle situation est sans conséquence sur leurs droits respectifs en matière d'aide sociale. (Crim. 26-11-2024, n° 23-81.498, FS-B)
Procédure pénale
Procédure alternative aux poursuites disciplinaires
Envisagée par la loi du 20 novembre 2023 à l’article L. 231-4 du code pénitentiaire, la procédure alternative aux poursuites disciplinaires est détaillée aux nouveaux articles R. 232-7 à R. 232-163 de ce code (fautes disciplinaires concernées, mesures de réparation, modalités de mises en œuvre,…). (Décr. n° 2024-1062 du 25-11-2024 relatif à la procédure alternative aux poursuites disciplinaires applicable aux personnes détenues majeures et modifiant le code pénitentiaire)
Mise en conformité du mécanisme de purge des nullités
La décision du Conseil constitutionnel en date du 28 septembre 2023 (Cons. const. 28-09-2023, n° 2023-1062 QPC) avait conclu à la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense, en l’absence de toute exception au mécanisme de purge des nullités dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction. L’abrogation a pris effet au 1er octobre 2024. Ce texte permet donc de remédier à la déclaration d’inconstitutionnalité et d’exclure du mécanisme de purge des nullités tous les vices que les parties ne pouvaient connaître avant la fin de l’instruction (principe applicable à la matière correctionnelle, délictuelle et criminelle). (L. n° 2024-1061 du 26-11-2024 visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités)
Action civile des associations de lutte contre les discriminations sexuelles et sexistes
Le Conseil constitutionnel estime que le troisième alinéa de l’article 2-6 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.
Il était reproché à ces dispositions de ne pas permettre aux associations de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe, les mœurs, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, d’exercer les droits reconnus à la partie civile en cas de séquestration, de vol ou d’extorsion commis à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime.
Le Conseil écarte toutefois les arguments de l’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, à la liberté d’association, et aux principes d’égalité devant la loi et devant la justice. Il indique que le législateur a pu réserver à des infractions limitativement énumérées la faculté de telles associations d’exercer devant le juge pénal les droits reconnus à la partie civile. Il relève que la capacité d’agir en justice des associations n’est nullement remise en cause, pas plus que celle des victimes des infractions précitées qui peuvent obtenir, devant le juge compétent, réparation du dommage que leur ont personnellement causé les faits. En outre, affirment les Sages, la différence de traitement instaurée par ces dispositions - entre les associations et au regard de la nature distincte de ces infractions - est justifiée par une différence de situation et est en rapport direct avec l’objet de la loi. (Cons. const. 22-11-2024, n° 2024-1113 QPC, Association Stop Homophobie)
FIJAIT : définition de la notion d'adresse
L'adresse d’une personne inscrite dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT) s’entend comme celle du lieu où demeure effectivement cette personne, y compris de manière temporaire. Se rend donc coupable de non-déclaration de changement d'adresse dans le délai de quinze jours (C. pr. pén., art. 706-25-7, 2°) l’individu qui vivait au domicile de sa compagne depuis près de trois mois à la date de son interpellation, sans avoir déclaré cette nouvelle adresse. (Crim. 26-11-2024, n° 23-81.498, FS-B, préc.)
Compétence juridictionnelle en matière de visite et saisie douanière
Le recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie, autorisées sur le fondement de l'article 64 du code des douanes, relève de la seule compétence du premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle ces opérations ont été autorisées. À cet égard, il importe peu que le déroulement de ces opérations ait eu lieu dans un autre ressort et que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel a été effectuée la visite ait été commis pour la contrôler. (Com. 27-11-2024, n° 23-18.850, FS-B)
Peine et exécution des peines
Des conditions de détention et de rétention toujours structurellement défaillantes à Mayotte
Le CGLPL a observé en octobre 2023, lors de visites dans les lieux de privation de liberté de Mayotte, de graves atteintes aux droits fondamentaux et à la dignité des personnes enfermées. Aucun lieu visité (centre pénitentiaire de Majicavo, centre hospitalier de Mamoudzou, centre de rétention administrative de Pamandzi, locaux de rétention administrative de Petite-Terre et commissariat de Mamoudzou) n’échappe à ce constat.
Pour l’autorité administrative, « les insuffisances structurelles gravissimes dont pâtissent les services publics responsables de la prise en charge des détenus et patients en psychiatrie à Mayotte » sont à l’origine de ces manquements en matière de soins, d'hygiène et d'alimentation. Une pratique consistant à rattacher des enfants à des adultes sans vérification de la réalité du lien les unissant perdure.
Pour toutes ces raisons, le CGLPL a souhaité, outre la publication de ces rapports, les transmettre au Premier ministre, en sus des ministres de l’intérieur, de la justice et de la santé.
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal