La tarification AT/MP : un mécanisme complexe, qui fait intervenir deux caisses
Le caractère professionnel de la maladie est reconnu par la CPAM, qui en informe la Carsat. Celle-ci impute alors les dépenses correspondantes sur le compte de l’employeur et en tient compte, s’il est en tarification individuelle ou mixte, pour calculer son taux de cotisations accidents du travail/maladies professionnelles et le lui notifier.
Par exception, pour certaines dépenses limitativement énumérées par un arrêté du 16 octobre 1995, la Carsat ne les inscrit pas sur le compte d’un employeur déterminé, mais sur un compte spécial, financé par l’ensemble des employeurs au moyen d’une majoration forfaitaire de la cotisation AT/MP.
Parmi les dépenses concernées par ce compte spécial figurent celles relatives à la maladie contractée dans une entreprise qui a disparu alors qu’elle est constatée chez un employeur qui n’expose pas au risque (art. 2, 3°) et celles relatives à la maladie contractée alors que le salarié a été exposé au risque successivement dans plusieurs entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie (art. 2, 4°).
L’employeur peut contester :
les décisions de la CPAM (caractère professionnel de la maladie ou procédure suivie par la caisse, etc.) devant le juge du contentieux de la sécurité sociale, c’est-à-dire devant le tribunal judiciaire ;
les décisions de la Carsat (imputation des dépenses, calcul du taux, etc.) devant le juge de la tarification, c’est-à-dire devant la cour d’appel d’Amiens.
Des employeurs qui prétendent ne pas avoir exposé la victime au risque de sa maladie
Dans quatre arrêts du 1er décembre dernier, un salarié déclare une maladie consécutive à l’inhalation de poussières d’amiante. La CPAM la prend en charge en tant que maladie professionnelle, puis la Carsat en impute les dépenses au compte AT/MP de son dernier employeur. Celui-ci demande alors à la Carsat le retrait de ces dépenses de son compte, en prétendant qu’il n’a pas exposé le salarié à des poussières d’amiante.
Les employeurs mis en cause dans ces affaires font en outre valoir que les dépenses doivent être inscrites sur le compte spécial. Dans l’arrêt n° 20-22.760, au motif que l’entreprise où la maladie a été contractée a disparu. Dans les autres arrêts, au motif que l’entreprise où la maladie a été contractée ne peut pas être déterminée.
Une réponse de la Cour de cassation qui rompt avec sa jurisprudence traditionnelle
Les décisions du 1er décembre 2022 viennent bousculer la jurisprudence qui encadrait jusqu’à présent la demande d’un employeur visant à voir retirer de son compte les dépenses afférentes à une maladie professionnelle au motif qu’il n’a pas exposé le salarié au risque de cette maladie.
Le dernier employeur devait prouver qu’il n’avait pas exposé le salarié au risque
Selon la jurisprudence traditionnelle, la maladie professionnelle était présumée avoir été contractée au service du dernier employeur. Celui-ci pouvait toutefois rapporter la preuve contraire et établir que l’affection déclarée par le salarié était imputable aux conditions de travail chez ses précédents employeurs (Cass. 2e civ. 22-11-2005 no 04-11.447 PB ; Cass. 2e civ. 21-10-2010 no 09-67.494 PB ; Cass. 2e civ. 3-6-2021 no 19-24.864 F-D : RJS 8-9/21 no 487 ; Cass. 2e civ. 6-1-2022 no 20-13.690 B).
C’est désormais à la Carsat d’apporter cette preuve
Ce principe est remis en cause par les arrêts du 1er décembre 2022.
En effet, ces arrêts font peser sur la Carsat, et il s’agit là d’un revirement de jurisprudence, la charge de la preuve que la victime a été exposée au risque chez l’employeur auquel elle a imputé la maladie. S’agissant, en revanche, de la demande de retrait du compte employeur au motif que la maladie remplit les conditions pour être inscrite au compte spécial, les arrêts du 1er décembre laissent à la charge de l’employeur le soin de prouver que ces conditions sont réunies (entreprise qui a disparu, impossibilité de déterminer l’entreprise où la maladie a été contractée, etc.).
Il y a donc lieu de distinguer l’exposition au risque (pour laquelle il n’y a pas de présomption d’imputation au dernier employeur) et le lieu où la maladie a été contractée (qui est présumé, sauf preuve contraire apportée par l’employeur, être la dernière entreprise où le salarié a été exposé au risque).
Le juge de la tarification est juge de l’exposition
Les arrêts du 1er décembre 2022 reconnaissent par ailleurs expressément la compétence du juge de la tarification (cour d’appel d’Amiens) pour se prononcer sur l’exposition au risque de la victime.
A noter :
Ce principe était en germe dans la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation. La Haute Juridiction avait en effet déjà décidé, d’une part, que le défaut d’imputabilité à l’employeur de la maladie qui n’a pas été contractée à son service ne lui rend pas la décision de prise en charge inopposable et, d’autre part, qu’il peut contester cette imputabilité si sa faute inexcusable est recherchée ou si les conséquences financières de la maladie sont inscrites à son compte (Cass. 2e civ. 19-12-2013 n° 12-19.995 ; Cass. 2e civ. 17-3-2022 no 20-19.294 FS-B).
De nouveaux principes qui comportent encore des zones d’ombre
Si ces nouveaux principes semblent clairs, ils ne sont pas sans soulever quelques interrogations.
D’abord, dans l’immédiat, quelle est la portée exacte du quatrième arrêt (n° 20-22.760) ? Selon celui-ci, si l’employeur demande l’inscription sur le compte spécial au motif que la maladie a été contractée dans une entreprise qui a disparu, il devrait, dans le cas où la Carsat n’a pas pu établir qu’il avait exposé le salarié au risque de sa maladie, prouver que la maladie a été contractée dans une autre entreprise qui a disparu. On a du mal à comprendre pourquoi un employeur qui n’a pas exposé le salarié au risque de sa maladie devrait prouver que celle-ci a été contractée dans une entreprise disparue. Au surplus, on ne voit pas quel intérêt aurait dans ce cas l’employeur à demander une inscription de la maladie au compte spécial alors qu’il lui suffit d’en demander le retrait de son compte employeur en motivant sa demande par un défaut d’exposition.
Ensuite, le déplacement de la charge de la preuve ne risque-t-il pas d’encourager les entreprises à pratiquer une demande systématique de retrait des dépenses de leur compte employeur ? Comment la Carsat pourra-t-elle établir l’exposition au risque alors qu’elle est étrangère au processus de reconnaissance de la maladie ?
Si la Carsat n’a pas les éléments pour établir la preuve qui lui est demandée, n’y a-t-il pas un risque de faire régler aux entreprises vertueuses les conséquences des maladies provoquées par celles qui le sont moins ? Si la jurisprudence antérieure pouvait sembler excessive dans la mesure où elle rendait très difficile la demande de retrait du compte employeur, ne risque-t-on pas de tomber d’un excès dans l’autre ?
Des questions auxquelles la jurisprudence future devra tenter d’apporter des réponses.
A noter :
Nous publierons, dans notre Revue de jurisprudence sociale (RJS) 3/23, à paraître à la fin du mois de février 2023, un article de Xavier Prétot, doyen honoraire de la Cour de cassation, consacré à ces arrêts.
Retrouvez toute l'actualité sociale décryptée et commentée par la rédaction Lefebvre Dalloz dans votre Navis Social.
Vous êtes abonné ? Accédez à votre Navis Social à distance
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès au fonds documentaire Navis Social pendant 10 jours.
Documents et liens associés
Cass. 2e civ. 1-12-2022 no 21-12.523 FS-D ; Cass. 2e civ. 1-12-2022 no 21-14.779 FS-D ; Cass. 2e civ. 1-12-2022 no 21-11.252 FS-B ; Cass. 2e civ. 1-12-2022 no 20-22.760 FS-B