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Accueil/ Actualités - La Quotidienne/ Patrimoine/ Régimes matrimoniaux

L’intégration des APL dans le calcul de la récompense due à la communauté

Les APL sont un substitut de revenus même si elles sont versées directement au prêteur ; elles doivent être prises en compte dans le calcul de la récompense due à la communauté au titre de l’emprunt supporté par elle pour l’achat du logement familial, bien propre à l’épouse.

Cass. 1e civ. 1-12-2021 n° 20-10.956 F-B


Par Gulsen YILDIRIM, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit et des sciences économiques de Limoges
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©iStock

Un couple marié sous le régime de la communauté légale divorce. Des difficultés s’élèvent lors des opérations de liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux. Le logement de la famille, bien propre de l’épouse, a été financé par un prêt conventionné. Les époux ont bénéficié de l’aide personnalisée au logement (APL), laquelle a été versée directement à l’organisme prêteur. La femme conteste le montant de la récompense qu’elle doit à la communauté au titre du capital de l’emprunt que cette dernière a supporté. Selon elle, la cour d’appel ne devait pas intégrer dans ce montant les sommes perçues au titre des APL.

La Cour de cassation rejette le moyen. Cette aide accordée à l’acquéreur d’un bien affecté à sa résidence principale, selon la composition et les ressources de son foyer, constitue pour son bénéficiaire un substitut de revenus, de sorte que celle-ci entre en communauté, peu important qu’elle soit versée directement à l’organisme prêteur. Par conséquent, l’APL ne pouvait être soustraite de la récompense due par l’épouse à la communauté.

A noter :

Le logement demeure aujourd’hui l’un des postes les plus importants dans le budget des ménages. C’est pourquoi les locataires ou accédants à la propriété bénéficient, sous certaines conditions, d’aides comme l’APL supportées par la solidarité nationale. La question de leur nature se pose inévitablement pour des époux mariés sous le régime de la communauté légale.

Gulsen Yildirim, maître de conférences HDR à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, nous indique que sur ce point deux interprétations sont envisageables. D’un côté, l’APL est par principe incessible et insaisissable sauf si l’origine de la saisie est un trop-perçu (CCH art. L 821-6). Par conséquent, elle peut être rattachée aux « créances et pensions incessibles » de l’article 1404 du Code civil. Les sommes correspondantes seraient ainsi propres à l’époux bénéficiaire qui les perçoit (en ce sens, CA Amiens 30-9-2004 Juris-Data n° 2004-246151 : Dr. famille 2004 comm. 183, obs. B. Beignier). D’un autre côté, l’APL est censée compenser une insuffisance de revenus et alléger les frais de logement, qui constituent une charge du mariage. Elle correspond donc à un substitut de revenus et doit à ce titre tomber en communauté.

La Cour de cassation retient la seconde interprétation et la solution n’est pas nouvelle. En effet, la première chambre civile a déjà qualifié cette aide de « substitut de revenus » du bénéficiaire (Cass. 1e civ. 10-7-2013 n° 12-14.869 F-D : JCP N 2014 p. 1003 obs A. Tisserand-Martin ; Cass. 1e civ. 28-5-2015 n° 14-16.828 F-D : Gaz. Pal. 6-10-2015 p. 31 note E. Mulon, JCP N 2016 p. 1002 obs. A. Tisserand-Martin).

Cette qualification se justifie pleinement, car il est difficile de dire que cette allocation est intimement liée à la personne de l’époux au sens de l’article 1404 du Code civil. Certes, comme son nom l’indique, l’APL est personnalisée, mais son calcul dépend de « la situation de famille du demandeur et le nombre de personnes à charge vivant habituellement au foyer » (CCH art. L 823-1, 1°), sachant que cette allocation évolue aussi en fonction des revenus du conjoint (CCH art. L 823-1, 2°). Elle présente ainsi un caractère familial et cette nature doit être retenue pour les deux autres aides que sont l’allocation de logement familiale (ALF) et l’allocation de logement sociale (ALS) puisque le droit s’apprécie au regard de la situation personnelle et familiale du demandeur. D’ailleurs, l’ordonnance 2019-770 du 17 juillet 2019 a définitivement harmonisé les conditions d’attribution de ces différentes aides au logement.

L’argument du versement direct à l’organisme prêteur n’a pas convaincu les juges. Certes, d’un point de vue strictement financier, il est difficile de reconnaître que, conformément à l’article 1437 du Code civil, les biens propres ont « tiré profit » de la communauté puisque ces aides sont versées par la caisse d’allocations familiales (CAF) au prêteur sans que celle-ci ait décaissé quoi que ce soit. Mais il s’agit ici d’une simple modalité de versement de l’aide expressément prévue par la loi (CCH art. L 832-1).

Le rattachement de ces sommes aux substituts de revenus s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus général qui interprète très largement la notion de « gains et salaires ». Elle a néanmoins une double conséquence. Tout d’abord, si la résidence principale acquise est un propre, leur perception durant le régime donne lieu à récompense calculée sur la base de la plus forte des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant (C. civ. art. 1469). Pour cela, il faudra intégrer dans la dépense faite non seulement la fraction du capital assumée effectivement par la communauté, mais aussi ce que la CAF aura versé au prêteur, sans oublier de faire la différence entre ce qui correspond aux intérêts supportés définitivement par la communauté et ce qui est en lien avec le capital.  En revanche, si l’immeuble est commun, les aides perçues après la dissolution ne peuvent pas être soustraites de la créance que l’époux possède contre l’indivision postcommunautaire au titre du remboursement de l’emprunt contracté pour l’acquisition (voir Cass. 1e civ. 10-7-2013 et Cass. 1e civ. 28-5-2015 précités). À partir de la date de dissolution, ces substituts de revenus retrouvent en effet leur caractère personnel. Par conséquent, on ne peut déduire les versements directement effectués auprès de l’organisme prêteur au titre de l’APL pour mesurer la contribution effective de l’ex-époux indivisaire au remboursement du prêt. Ainsi, favorable à la communauté durant le régime, la qualification de « substitut de revenus » ne permet pas d’écarter une solution inopportune à compter de la dissolution.

Pour en savoir plus

Voir MFA 2020 N° 3060 et 3905

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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